Chapitre 48 : appel de détresse

Publié le par RoN

Bien qu’à l’évidence fort inquiète à l’idée d’assurer seule le pilotage de l’hélicoptère, Béate géra le décollage comme une professionnelle. Tous éprouvèrent un intense soulagement quand l’appareil s’arracha doucement du sol. Enfin ils repartaient, laissant définitivement cette île damnée derrière eux. Mais le cauchemar qu’ils y avaient vécu serait long à oublier.

Les premières minutes de vol se passèrent sans le moindre problème, Béate suivant à la lettre les instructions de Jonas. Mais elle avait visiblement beaucoup de mal à se détendre. Qu’elle se soit déjà essayée au pilotage ne l’empêchait pas de bombarder l’ex-passeur de questions et remarques inquiètes. Son copilote la rassura patiemment, lui rappelant quels appareils contrôler dans telle situation, quelles vérifications effectuer avant telle manœuvre, quelles mesures prendre si tel voyant s’allumait. Il était impératif que la jeune femme prenne de l’assurance, car Jonas ne pourrait pas rester continuellement auprès d’elle. La position assise était pour lui très pénible, et il avait de toute façon besoin de repos.

Aussi alla-t-il s’allonger à l’arrière dès que Béate se sentit plus à l’aise, laissant Jack s’insérer à la place du copilote. Très concentrée sur sa tâche, la jeune femme n’était plus très causante. Ce qui convenait tout à fait à son frère, lui-même assez soucieux. Rien d’étonnant à cela, puisqu’ils abordaient la dernière étape de leur traversée de la Mater. Plus que quelques dizaines de kilomètres, quelques heures de vol, et il arriveraient au Delta de l’Ouest.

 

Jack essaya d’oublier son stress en étudiant une ixième fois les données satellites. Mais les images du mode observation n’avaient pas encore été actualisées, et le mode détection ne lui fournit aucune information qu’il n’ait déjà : les goules étaient toujours innombrables, leurs mouvements toujours aussi étranges. Le jeune homme se résolut à prendre son mal en patience. Il n’en saurait plus qu’une fois sur place.

Une chose était en tout cas certaine : le débarquement n’allait pas être de tout repos. Surtout avec Jonas incapable de se déplacer plus rapidement qu’un vieillard en déambulateur. Il allait falloir une bonne dose d’improvisation et de sang-froid pour transférer le blessé à bord d’un hypothétique bateau. Sans parler des dizaines de kilos de vivres, de buster-weed et d’armes.

Ce qui inquiétait surtout Jack était les chimères. En particulier les oiseaux. S’il répugnait toujours aux goules humaines de s’aventurer dans l’eau, alors les voyageurs seraient en sécurité tant qu’ils n’essaieraient pas de se poser sur la terre ferme. Mais ils ne seraient nulle part à l’abri des zombies volants. Les oiseaux contaminés par la Ghoulobacter ne connaissaient aucun obstacle, aucune frontière. Que des chimères ailées repèrent l’hélicoptère et il deviendrait quasi-impossible de se poser. Et a fortiori de sortir pour décharger.

Il n’existait de toute manière aucun moyen de différencier les goules des chimères par le biais des images satellites. Lors d’un précédent échange avec Genesia, Mitch et Rick avaient promis de se pencher sur ce problème. Mais pour le moment, Jack devait se contenter des estimations de la présence goule totale.

Il avait cependant pu noter que de manière générale, zombies humains et animaux ne se mélangeaient pas. Les chimères évitaient même de se mêler aux monstres issus d’une espèce différente. Et d’après ce que Jack avait pu observer, la côte était occupée par une grande majorité de goules humanoïdes. Avec un peu de chance, les bêtes se tenaient à l’écart, dans des zones plus difficiles d’accès par exemple. Mais mieux valait se tenir prêts à toute éventualité.

 

Aussi faisaient-ils tous preuve de la plus grande vigilance, scrutant le ciel pour détecter l’approche d’éventuels volatils, observant le sol pour repérer l’envol d’une nuée hostile. Ils ne distinguaient pas grand-chose à vrai dire, la seule luminosité provenant de la lune et des étoiles. Jack avait la désagréable impression de se trouver au plus profond de l’océan, à bord d’un submersible que des monstres tentaculaires n’auraient eu aucune difficulté à écraser. Tout semblait si sombre maintenant que l’électricité ne coulait plus dans les veines des mégapoles. Le continent entier avait été avalé dans une vague de noirceur, ne laissant que du vide.

Non, pas du vide. L’obscurité était pesante, dangereuse. Remplie de griffes et de crocs acérés. Les voyageurs n’avaient pas besoin de voir les prédateurs pour ressentir leur présence, partout autour d’eux. Comme une odeur sourde et persistante, ou une vibration malsaine. Les goules étaient là, par millions, force silencieuse n’attendant que l’occasion de broyer le frêle engin en train de les survoler.

Jack frissonna en imaginant les créatures s’éveiller à leur passage, sortant de leur torpeur nocturne pour fixer le ciel, tendant peut-être leurs mains griffues vers l’appareil hors d’atteinte. Y penser était presque pire que le voir. Le jeune homme commençait à se demander s’il n’aurait pas été préférable de partir durant la journée. Soit, les goules étaient moins vives une fois le soleil couché. Mais restaient tout à fait capables de chasser, et voyaient même mieux que les humains.

De jour comme de nuit, ceux-ci se retrouvaient donc toujours désavantagés. Il était de toute façon difficile de trouver un domaine dans lequel les hommes étaient meilleurs que les zombies. Puissance, perception, vitesse : les goules possédaient des capacités dépassant celles des meilleurs prédateurs. Il n’y avait guère que leur intelligence qui laissait encore à désirer. Un point faible que les survivants avaient souvent utilisé à leur avantage. Il n’était en effet pas difficile de se montrer plus futé que ces créatures décérébrées. L’important était de mettre au point une stratégie efficace. Une diversion, une géographie favorable, et les goules pouvaient être défaites quel que soit leur nombre.

Mais il faudrait un peu plus que de la réflexion pour venir à bout des milliards de monstres marchant vers la Filia. Même si Jack et son groupe atteignaient leur objectif, même s’ils réussissaient à persuader les dirigeants de l’imminence du danger, comment arrêter cette véritable armée ? Comment repousser des ennemis infiniment plus nombreux, et qui ne connaissaient ni la fatigue ni la peur ?

Jack eut beau y réfléchir de longues heures, la solution lui échappait toujours. Peut-être parce qu’elle n’existait tout simplement pas. L’adversaire était trop grand, trop redoutable. Chercher un moyen de vaincre les goules du Pater revenait à de la masturbation intellectuelle. Non, ce qu’il fallait, c’était régler le problème goule dans son ensemble. Anéantir la menace zombie en une seule manœuvre. Nettoyer l’intégralité de la planète, d’une manière ou d’une autre. Mais comment ? L’imagination humaine était-elle seulement capable de concevoir une tactique d’une telle ampleur ?

Pour l’instant, Jack séchait complètement. Il allait de toute façon devoir mettre momentanément ses réflexions de côté. Les premières lueurs de l’aube venaient de s’allumer derrière l‘horizon, repoussant enfin les ténèbres nocturnes. Si Jonas avait correctement estimé leur temps de vol, le port ne devait plus être très loin désormais. Et en effet, après une ultime sinuosité du fleuve apparut le Delta de l’Ouest.

 

Difficile de croire que la ville associée avait un jour été l’un des plus grands pôles commerciaux de la planète. Deux ans après le début de l’épidémie, il n’en restait plus que des ruines calcinées. Les plus hautes tours du quartier des affaires s’étaient effondrées, la plupart des rues et boulevards étaient coupés, et une poussière grise et cendreuse recouvrait l’intégralité de la zone. La cité avait manifestement subi d’importants bombardements.

Mais restait pourtant un centre d’activité majeur. A ceci prêt que la population d’industriels crasseux et d’hommes d’affaires pressés s’était changée en une masse de monstres parfaitement homogène. Tous étaient enfin réunis dans l’égalité la plus parfaite, les préoccupations de leurs vies passées depuis longtemps oubliées. Ils ne formaient plus qu’une entité unique et gigantesque, une conscience globale où l’individu isolé n’existait pas.

Mais comment les zombies se comportaient-ils ainsi regroupés ? Adoptaient-ils des attitudes particulières, développaient-ils des moyens de communication ? Difficile d’en savoir plus sans les étudier de près. Et Béate n’avait aucune envie de se rapprocher plus que nécessaire de cette mer de griffes et de dents. L’armée de goule s’étendait à perte de vue, les créatures ne laissant pas un mètre carré inoccupé. A une certaine distance, le sol lui-même semblait être vivant. Jamais, jamais les voyageurs n’en avaient vu autant réunies. Et ignoraient toujours la raison qui poussait les monstres à se concentrer de cette manière.

Ils savaient en revanche une chose : le Port de l’Ouest avait assurément été le siège d’un exode pour le moins chaotique. Constatant l’inéluctable progression de la pandémie, nombre de gens avaient tenté de fuir vers l’occident. Il n’était pas difficile d’imaginer la folie qui avait dû régner dans les grands ports, avec tous ces réfugiés paniqués tentant d’embarquer dans des bateaux souvent peu adaptés. Quand les premières goules avaient atteint la côte, tout avait dégénéré pour de bon, la terreur effaçant facilement les derniers restes de compassion. Les amis devinrent ennemis. Les enfants furent abandonnés. Les vieillards et les handicapés piétinés. Seuls les plus rapides, les plus forts et les plus chanceux réussirent finalement s’échapper. Les autres restèrent sur place, constituant l’avant-garde de l’armée qui grouillerait bientôt sur le littoral.

Le résultat de cet exode massif et désespéré était en tout cas bien visible, même des mois plus tard. Les voyageurs avaient l’impression qu’un cyclone avait ravagé la zone. Combien de navires étaient renversés, coupés en deux ou échoués sur les rives ? Un gros bateau de pêche s’était encastré dans les grues utilisées pour charger les containers, faisant s’effondrer la moitié des installations. Les aménagements des rives avaient été détruits par des vaisseaux bloqués en essayant de forcer le passage. L’eau était presque intégralement recouverte de débris flottants, et les quais grouillaient littéralement de goules.

Naviguer dans la cette zone serait au mieux difficile, au pire suicidaire. Bondissant d’une épave à l’autre, les zombies auraient facilement été capables d’attraper d’éventuels marins imprudents. Jack constata d’ailleurs que les goules ne semblaient plus aussi réticentes qu’avant à l’idée de se mouiller. En effet, il en vit plusieurs tomber accidentellement à l’eau lors des mouvements de foule provoqués par l’hélicoptère, mais en ressortir immédiatement pour retourner sur la terre ferme.

 

Définitivement plus à l’aise avec l’élément liquide que par le passé, les zombies interdisaient toute approche des côtes. Les voyageurs allaient devoir trouver une embarcation située à bonne distance. Peut-être autour du fameux porte-avion, ancré un peu plus en aval du delta. Si des rescapés squattaient dans le coin, ils s’étaient forcément installés à l’endroit où le fleuve était le plus large.

Mais maintenant qu’il se trouvait sur place, Jack voyait mal comment des humains auraient pu survivre ici. Même si le porte-avion constituait une bonne planque, comment ignorer la menace constante représentée par l’armée de goule ? Comment se protéger des chimères volantes ? Comment se ravitailler ? Et surtout, pourquoi ? Pourquoi rester dans un endroit aussi dangereux, quand on possédait le moyen de partir à des centaines de kilomètres ?

Plus Jack y songeait, moins il lui semblait vraisemblable de trouver des survivants dans le port. Il lui fut pourtant prouvé le contraire, et ce avant même que le porte-avion soit en vue. Alors qu’elle était restée silencieuse durant l’intégralité du voyage, la radio de l’hélicoptère se mit tout à coup à crachoter.

Fébrile, Jack ajusta son casque et effectua quelques réglages. Oui, c’était bien une voix qu’il percevait derrière les crépitements. Une voix féminine, quelque peu paniquée, en entrecoupée de détonations ne pouvant prêter à confusion. Il s’agissait là d’un appel de détresse. Le jeune homme prévint ses camarades et écouta avec attention.

« …bloqués à la sortie des égouts… réussit-il à entendre. Goules… retraite coupée… demande renforts… »

Le message fut répété, plus clairement cette fois. Apparemment, une équipe envoyée en mission nocturne s’était un peu trop attardée, et se retrouvait maintenant coincée par les zombies. Jack ignorait quelle était la situation exacte, mais les survivants semblaient en mauvaise posture. Bien qu’employant un ton clair et concis, presque militaire, la femme à l’origine de l’appel n’en menait visiblement pas large. Et la réponse qu’elle obtint ne la rassura aucunement.

« Il va falloir vous débrouiller, entendit Jack via la radio. Désolé, Abbie, mais tu connais la règle. On ne sort plus quand le jour est levé.

-         C’est  moi qui ai décreté cette putain de loi ! Je sais que c’est risqué, Ali ! Mais si je te demande des renforts, c’est qu’on en a besoin !

-         Quand tu es à l’extérieur, c’est moi qui commande. Je refuse de mettre tout le monde en danger pour aller vous chercher.

-         Petit connard de merde ! Tu vas nous laisser crever ?

-         Je suis désolé, répéta son interlocuteur. Tu ferais la même chose…

-         Ça c’est certain. Il faut espérer pour toi que je ne revienne pas… »

Jack ne connaissait ni cette Abbie ni l’homme qui venait de lui refuser les renforts qu’elle réclamait. Mais il n’était pas du genre à ignorer un appel à l’aide. Il n’eut même pas besoin d’interroger ses camarades : un simple regard suffit pour voir qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Ils avaient passé suffisamment de temps posés sur leurs fesses. Un peu d’action leur ferait le plus grand bien. Ils étaient arrivés au port en espérant y trouver des renforts ; finalement, ils seraient les renforts.

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T
<br /> Abbie... tu aimes bien utiliser ce prénom si je ne m'abuse ;)<br /> <br /> <br />
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