Epilogue : vers la Filia

Publié le par RoN

« Pardonne-moi, Gina, je sais que j’aurais dû t’en parler avant… Mais maintenant qu’Abbie a disparu, ce qu’on a fait ensemble ne me semble plus très important…

-         Ne t’en fais pas, mon chéri. Ça fait un bon bout de temps que j’ai appris à te partager, relativisa l’institutrice genesienne à l’autre bout du fil. On est une sorte de couple libre, non ? Tu sais, il s’est aussi passé des choses de mon côté… »

Voilà bien une réponse à laquelle Jack ne s’attendait pas ! Qu’Aya la philosophe ait eu quelques aventures durant son absence ne l’aurait guère étonné ; après tout, c’était elle qui avait eu l’idée du fameux lupanar genesien. Mais que la calme Gina se soit permise pareil libertinage avait de quoi surprendre. Elle qui faisait toujours de son mieux pour que les enfants bénéficient d’une certaine « normalité » malgré leur famille pour le moins originale… Il avait déjà été difficile de leur expliquer ce qu’était un couple dans le sens classique du terme ; si leurs parents commençaient en plus à aller « visiter » les voisins, répondre à leurs questions risquait de devenir de plus en plus difficile…

Jack se garda cependant d’émettre la moindre critique. Mieux valait ne pas froisser une femme aussi compréhensive. Si ses concubines lui autorisaient des aventures, il n’avait aucune raison de ne pas en faire autant. Il était de toute façon très mal placé pour juger la conduite de ses femmes restées à Genesia. Après tout, ne venait-il pas de confesser à Gina sa relation avec Abernathy Banks ?

 

A la base, Jack avait contacté sa femme pour obtenir un peu de réconfort, pour retrouver la motivation perdue avec la disparition d’Abernathy. Le besoin de voir un visage familier, d’entendre une voix aimante. Constatant sa tristesse, Gina n’avait pas mis bien longtemps à deviner que les rapports entre son homme et l’amirale du Niels étaient allés plus loin qu’ils ne l’auraient dû. Comment expliquer autrement le fait que le jeune homme soit si bouleversé ? Il n’y avait que dans un grand état de chagrin que Jack pouvait se montrer aussi égoïste.

Il n’avait en effet pas pensé à se mettre à la place de Gina. Comment aurait-il réagi, si sa bien-aimée lui avait annoncé qu’elle était triste parce qu’elle venait de perdre son amant ? Le jeune homme faisait généralement preuve d’un peu plus de tact. Il aurait facilement pu se confier à ses amis ; ou à sa sœur, si c’était d’une oreille féminine dont il avait besoin. Comme beaucoup d’hommes, Jack croyait à tort que les femmes étaient les plus à mêmes d’écouter les problèmes de cœur ; sans doute une sorte de variation du complexe d’Oedipe…

Gina appréciait moyennement de servir de mère de substitution, mais elle aimait suffisamment Jack pour lui pardonner un tel manque de subtilité. Plutôt que lui reprocher son infidélité, elle prit sur elle et l’écouta avec patience, ignorant sa propre jalousie pour compatir sincèrement.

Si les pleurnicheries de Jack finirent par l’agacer, elle n’en montra strictement rien – à part peut-être l’allusion à ses propres liaisons : une manière de faire gentiment sentir à son homme qu’il pouvait se garder les détails de ses aventures. Même s’il était heureux de constater que ses proches vivaient de façon toujours aussi épanouie, lui non plus n’avait pas forcément envie de savoir tout ce que faisaient ses femmes en son absence…

 

Mais au moins, cela lui changeait les idées. Dans son état de doute et d’abattement, Jack avait décidemment bien fait d’appeler Gina. La générosité et l’empathie de l’institutrice lui apportèrent un grand réconfort. Chaleureuse et enthousiaste, la jeune femme déploya tous ses talents pour obtenir un sourire de son bien-aimé. 

« Et puis je suis pas née de la dernière pluie, continua-t-elle, souriante. Je me doute bien que les survivantes esseulées ne vont pas résister bien longtemps à un gros dur comme toi. Ça ne me pose pas de problème… tant que tu n’oublies pas que ce n’est pas là l’objet de ta mission ! »

Et voilà, elle venait même de réussir à le faire rire malgré son chagrin ! La bonne humeur de Gina était décidemment plus contagieuse encore que la Ghoulobacter

Pour le meilleur comme pour le pire, c’était d’ailleurs souvent ainsi que les choses se passait dans leur maison genesienne. Gina étant l’institutrice des enfants durant la journée, elle se contentait de jouer le rôle de la maman coulante et bienfaisante une fois de retour au foyer, laissant volontiers Aya assumer celui de la mère sévère et moralisatrice.

Cette fois cependant, elle dû endosser les deux : tout en rassurant Jack et en l’aidant à retrouver quelque espoir, elle n’hésita pas à employer un ton plus dur quand il fut temps de lui rappeler quel était son devoir.

« Même s’il faut être réaliste et s’attendre au pire, Abernathy a très bien pu trouver un moyen de survivre, reprit Gina, plus sérieuse cette fois. Cette nana à quand-même l’air d’une dure à cuire, il est bien possible qu’elle soit toujours en vie. Si tel est le cas, elle fera certainement tout ce qui est en son pouvoir pour rejoindre Genesia. Et je pense qu’après ce qu’elle aura traversé, le voyage ne sera rien de plus qu’un petit safari d’agrément. Tu es d’accord avec moi ?

-         Ouais, je vois où tu veux en venir. Dans tous les cas, je n’ai pas besoin de m’inquiéter pour elle… Faut que je reste concentré sur mon objectif…

-         Qu’Abbie ait survécu ou non, c’est certainement ce qu’elle voudrait. Poursuivre ta mission est la meilleure manière de l’honorer. D’honorer tous ceux qui se sont sacrifiés pour que toi et les autres cinglés puissiez en arriver là. Pour transmettre le souvenir d’Abernathy, pour continuer la guerre qu’elle s’efforçait de ne pas perdre, vous devez aller jusqu’au bout. Quoi qu’il en coûte, l’Indépendant doit arriver jusqu’à la Filia. »

C’étaient là des évidences que Jack avait besoin d’entendre. Le capitaine du voilier n’avait heureusement pas attendu le retour de la motivation de son leader pour mettre le cap plein ouest. Direction : la côte est de la Filia ; un peu plus de mille kilomètres à parcourir.

Difficile de dire combien de temps durerait la traversée, leur vitesse dépendant en très grande partie de la météorologie. Mais pour le moment, l’Indépendant dévorait les kilomètres, comme propulsé par la volonté de tous ceux qui croyaient en cette expédition – non, plus vraisemblablement, il fallait remercier le vent qui ne faiblissait pas depuis plusieurs heures ; mais de là à savoir si cela persisterait…

 

Une chose était certaine : ni Jack ni aucun des autres matelots improvisés ne verraient plus l’imposante créature d’acier qui les avait hébergés en son ventre pendant près d’un mois. Tous avaient ressenti une certaine émotion en observant la silhouette du Niels disparaître derrière l’horizon peu avant le lever du soleil.

Aucun d’eux n’oublierait l’étonnante solidarité qu’ils avaient pu voir sur le porte-avion : il n’avait fallu qu’une étincelle pour réveiller tous ces gens, leur montrer qu’il n’appartenait qu’à eux de prendre leur destin en main. Même dans ce monde dévasté, dans ces territoires chaotiques où survie était synonyme d’extrême précarité, les hommes étaient prêts à se serrer les coudes pour garder leur dignité et leur droit à la conscience. Il était dramatiquement facile de céder au désespoir ; mais bien souvent, il n’était pas plus difficile d’en sortir. Il suffisait de quelqu’un pour montrer la voie à suivre.

Et grâce à leurs amis genesiens, les nielsiens avaient une route toute tracée. Rares avaient été ceux à ne pas quitter le Delta de l’Ouest à contrecœur. Laisser leurs deux héroïnes derrière eux sans savoir ce qui leur était arrivé fut plus douloureux encore pour certains soldats que de les savoir changées en goules. Mais tous savaient que leur devoir était de vivre. Ils devaient partir. Même si remords et regrets les accompagneraient certainement tout du long du voyage.

Lequel ne devrait cependant pas trop s’éterniser. Longeant la côte de la Mater à distance prudente, le Niels était censé voguer jusqu’au sud de la Chaîne Platte, où trouver un point d’accostage relativement discret serait plus facile qu’en pleine plaine. Si les conditions s’y prêtaient, les survivants débarqueraient alors, et retrouveraient un contingent de genesiens volontaires prêts à les équiper en armes, les ravitailler, les guider voire, peut-être, leur assurer le transport jusqu’à leur cité. Mais mieux valait qu’ils ne s’attendent pas non plus à des carrosses rutilants et montagnes de victuailles…

 

« Est-ce que tu as une idée du temps dont on dispose avant leur arrivée ? interrogea Gina.

-         Il faudra voir ça avec eux, mais je dirais une dizaine de jours, estima Jack. Vous serez prêts à les accueillir ?

-         Espérons-le…

-         Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? interrogea le jeune homme d’une voix déjà tendue. Est-ce qu’il y a un problème ?

-         Aya travaille à le résoudre, c’est tout ce que tu as besoin de savoir. Elle me tuera si elle apprend que je t’ai raconté nos petites misères… Tu connais la chanson… »

Inévitablement curieux bien que sachant pertinemment que Gina avait raison, Jack chercha donc à interroger directement l’intéressée. Cela faisait d’ailleurs un certain temps qu’il n’avait pas eu l’occasion de discuter avec Aya. Mais là encore, l’institutrice fut aussi énigmatique que catégorique. Aya était occupée pour l’instant ; elle le serait aussi s’il essayait de rappeler plus tard dans la matinée ; mais Gina lui garantit que la philosophe ne manquerait pas de le contacter sous peu.

« Pas de question, décréta-t-elle, sévère. Et n’essaie pas d’interroger les gosses, ils n’ont pas besoin qu’on leur parle de ce qui ne va pas dans cette ville ! »

 

Bien évidemment, Jack avait un peu de mal à supporter que ses proches lui cachent des choses. Mais après tout, il avait entièrement confiance en eux. Tous ses amis restés à Genesia avaient maintes fois prouvé qu’ils étaient capables de prendre soin d’eux-mêmes. S’ils considéraient qu’il valait mieux lui taire certains problèmes ou événements, ils avaient très certainement raison. Jack ne pouvait que s’en remettre à leur jugement.

Encore une fois, il n’avait aucun souci à se faire. Ses uniques préoccupations devaient rester sa survie et sa mission.

Trop de choses dépendaient de lui pour qu’il se lance dans ce voyage à contrecoeur. Trop de gens à prévenir, à sauver. Trop de destins sur ses épaules. Il n’y avait plus de place pour le doute, plus de regard à jeter en arrière. Bien qu’encore invisible, son objectif était droit devant, caché au-delà de la courbe de l’horizon. Il n’y avait qu’à avancer.

 

Avancer en espérant battre les goules. Avancer en espérant arriver sur la Filia avant les troupes infinies en provenance du Pater.

Avancer en espérant simplement que la traversée se passe sans encombre. Avancer en espérant que les innombrables zombies nageurs épargnés par les thermobariques ne bouleverseraient pas les écosystèmes marins. Quoique finalement, Jack préférait ne pas réfléchir à ce sujet…

Ni à la goule Lyons, toujours en vie quelque part dans les profondeurs, et assurément ivre de vengeance. Non, mieux valait ne pas y penser...

Publié dans Chapitres

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S
La suite!!!!! La suite! En 2 ans elle doit être aboutie, au moins dans ta tête!!
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T
Putain mec quand est-ce que tu bougeras ton cul et te mettras à la suite ?!
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O
Je passais par là ... j'ai lu juste l'épilogue ... La SF très peu pour moi mais par contre je tenais à dire que c'est bien écrit, agréable à lire. Et attention : "cette nana là a quand même l'air<br /> d'une dure à cuire" c'est l’auxiliaire avoir et non à ! Bon courage pour la suite, et j'espère aussi que tu pourras vivre de ta passion.
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N
J'suis juste " passé " pour voir si il y avait du nouveau, et j'me suis rendu compte que ça faisait longtemps que j'avais pas posté de com'. Bref, tout ça pour te dire, MERCI d'avoir écrit<br /> Ghoul-Buster, c'est divertissant au possible ! Et quoi qu'il arrive, continue, j'te suivrais avec plaisir. ^-^
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T
Bon, bha cette aventure est terminée et au lieu de conclure, tu nous laisse en suspens avec de nouvelles questions...Tu es vraiment un enfoiré :D<br /> Quoi que tu écrives en suite, je te suivrai !
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