GBF-3 : les bons plans de Freddy Halu

Ce fut un rire tonitruant qui salua le réveil de Jonas le lendemain. Un rire gras et dissonant dont le pilote se souviendrait probablement même après sa réincarnation, celui-ci ayant bien souvent été synonyme de paie juteuse. Mais aussi parfois d’ennuis sérieux.

Jonas prit quelques minutes pour étirer ses muscles endoloris. La nuit n’avait pas été de tout repos, ça non. Arlène s’était montrée plus insatiable que jamais, ne lui laissant que quelques minutes de répit entre des parties de jambes en l’air aussi nombreuses qu’originales. Bien qu’autant en manque que sa femme, Jonas en était sorti complètement vidé, physiquement comme émotionnellement. Trop de stress, trop de tension. Même après s’être accordé une douzaine d’heures de sommeil ininterrompu, il se sentait encore légèrement fébrile.

A priori, Jonas n’avait pourtant aucune raison de s’inquiéter. Les flics ne le rattraperaient plus désormais. Par sécurité, le plan prévoyait de rester une semaine en planque, loin des villes et de leurs caméras omniprésentes. Mais l’évadé savait pertinemment que les autorités n’avaient aucune piste. Sans quoi elles lui auraient déjà remis le grappin dessus.

La prison était désormais derrière lui. L’important maintenant était de s’intéresser à l’avenir. Ce qui constituait précisément la raison de la venue de leur invité. Lequel semblait avoir apporté avec lui un peu de marijuana, à en juger par l’odeur forte et parfumée qui vint piquer les narines de Jonas quand il rejoignit la pièce voisine.

« Et tu lui as fait ça lors qu’il était en train de gérer l’atterrissage ? gloussait un homme d’une corpulence impressionnante. Tu es encore plus cinglée que ton mec, Arlène.

-         Salut, Freddy, lâcha Jonas en s’asseyant. Dis-donc, elle sent super bon, ta beuh…

-         Ah, voilà un connaisseur ! s’écria l’intéressé en gratifiant le pilote d’une accolade puissante. Comment ça va, Jonas ? Les douches collectives ne te manquent pas trop ?

-         Un peu. Mais ça ne vaut quand-même pas une nuit avec ma petite femme…

-         J’imagine. Arlène me racontait justement votre petite performance.

-         Tu parles de l’évasion, ou de ce qui s’est passé ensuite ? »

Freddy s’esclaffa de plus belle, avant de faire passer à Jonas un joint d’une taille fort respectable. Et qui était visiblement très puissant. D’après le sourire niais et les yeux injectés de sang d’Arlène, cela devait déjà faire un moment qu’elle et Freddy discutaient en s’enfumant. Jonas se fit un plaisir de se mettre à leur niveau, s’envoyant sans attendre quelques lattes dans les alvéoles. Et comprit immédiatement pourquoi sa femme avait l’air si défoncée.

Quel plaisir ! Depuis le temps qu’il convoyait des stupéfiants, jamais encore il n’avait eu l’occasion de goûter à un cannabis si délicieux. Non seulement son parfum était extrêmement plaisant, mais l’effet dépassait tout ce qu’il avait pu tester auparavant. Etait-ce là la conséquence de ces quelques semaines d’abstinence forcée ? Sans doute en partie. Freddy l’informa cependant qu’il s’agissait là d’une substance assez particulière.

« Une variété appelée power-weed, qui produit deux fois plus de THC qu’une plante normale, expliqua-t-il. J’étais sûr que ça te plairait.

-         De la vraie bombe, certifia Jonas. Tu peux nous en commander un bon kilo ?

-         Malheureusement, ça va être difficile. Cette beuh était produite sur la Mater… Mais si vous voulez des trucs qui changent, j’ai un chargement d’opium qui arrive ce soir.

-         N’essaie pas de nous tenter ! prévint Arlène en agitant un doigt accusateur. Tu sais qu’on ne consomme que du cannabis.

-         Et c’est ce qui fait de vous de véritables professionnels » admit Freddy.

Tout en tirant activement sur son joint, Jonas ne put empêcher une sonnette d’alarme de se mettre à tinter dans son esprit. Que Freddy se déplace en personne pour les féliciter de leur évasion était déjà étrange. Qu’il leur offre de la marijuana royale – et issue de son stock personnel – était surprenant. Et maintenant, voilà qu’il dégainait les compliments ! Tout cela devenait très soupçonneux. Freddy Halu n’était jamais agréable sans raison. Il avait quelque chose derrière la tête, c’était certain.

Et en effet, il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que l’invité déballe le morceau.

« Ça a toujours été un plaisir de faire affaire avec vous, continua-t-il du ton le plus naturel du monde. Et c’est d’ailleurs le plaisir des affaires qui m’amène aujourd’hui. J’ai un travail à vous proposer.

-         Si tôt après l’évasion ? s’inquiéta Arlène. C’est risqué, non ?

-         La mission n’aura lieu que dans une semaine, vous resterez planqués d’ici là.

-         Quand-même, ça ne m’enchante pas…

-         Il faudra bien vous remettre en selle un de ces jours, non ? J’ai besoin des meilleurs pour ce boulot. Vous pouvez faire ça pour moi ? Après tout, c’est moi qui ai fourni l’hélico avec lequel tu as sorti Jonas de taule, Arlène. »

 

Alors c’était donc ça. Cet enfoiré, ce gros tas hypocrite, cet usurier de merde était là pour réclamer son paiement. Que sa participation financière à l’évasion soit une juste compensation pour son incapacité à choisir des collègues fiables ne lui avait sans doute même pas effleuré l’esprit. C’était bien ce que Jonas détestait dans le monde criminel : la plupart des malfrats croyaient dur comme fer que tout leur était dû. Du service entre amis de combine au prêt nécessaire à un investissement douteux, tout devait être monnayé au prix de celui qui avait le flingue. Ce qui au fond n’était pas très différent des milieux financiers plus classiques. Il fallait faire preuve d’une fermeté absolue pour éviter de se faire presser jusqu’à la dernière goutte.

Passant ses nerfs sur le pétard, Jonas parvint à masquer son exaspération pour laisser à Freddy le temps d’exposer son projet. Quelque part, le receleur avait raison. Tôt ou tard, ils auraient besoin d’une nouvelle activité lucrative. Pourquoi ne pas se lancer dans un gros coup bien juteux ? D’autant plus que le salaire proposé par Freddy était très attractif.

« Cinq millions au total, déclara-t-il avec un calme très professionnel. Un avant, quatre après. Soit le même tarif que pour une livraison de plusieurs tonnes d’héroïne.

-         Quel est le trajet ? interrogea Jonas, méfiant.

-         Un aller-retour en hélicoptère jusqu’à la Mater.

-         C’est une blague ? Il y a plusieurs milliers de kilomètres d’océan. C’est trop pour une traversée en hélico.

-         De toute façon, les côtes sont gardées, ajouta Arlène. L’armée dégomme tout ce qui vient de l’étranger.

-         Et si je vous dis que tous ces problèmes sont déjà réglés ? répondit Freddy en levant les mains. Au niveau logistique, le plan est fonctionnel. Il me manque juste des pilotes assez cinglés et talentueux pour tenter le coup. »

Jonas et Arlène se jetèrent des regards interrogateurs. Décidemment, Freddy savait y faire pour éveiller leur curiosité. Le duo en connaissait encore trop peu sur la mission pour se décider. Une chose était sûre cependant : ils voulaient en savoir plus. Sentant qu’il avait ferré le poisson, Freddy se fit un plaisir de les éclairer.

« J’imagine que vous savez ce qui se passe sur le Pater et la Mater, commença-t-il.

-         Les émeutes dues à la fameuse épidémie que tout le monde redoute ? On ne sait rien de plus que ce qu’on voit aux actualités. Les gens protestent parce qu’un virus fait des milliers de morts, ou quelque chose comme ça…

-         Quelque chose comme ça, oui… Virus, mort, révoltes. Les trois éléments de la vérité sont bien là, mais pas dans le bon ordre.

-         Je ne comprends pas…

-         Comme la plupart des gens. Et heureusement pour notre gouvernement. Si la vérité se savait…

-         Quelle vérité ? Qu’est-ce qui se passe là-bas exactement ?

-         Virus, révoltes, mort. 

-         Je sais, mais qu’est-ce que… »

La voix d’Arlène s’éteignit alors qu’elle se remémorait la phrase de Freddy. Les trois éléments étaient là, mais pas dans le bon ordre… Les yeux écarquillés, la jeune femme porta une main à sa bouche.

« Mon dieu, est-ce que ça veut dire…

-         Un virus. Qui contamine les gens. Lesquels provoquent des émeutes. Qui font de nombreux morts, résuma Jonas. Mais comment c’est possible au juste ?

-         C’est ce qu’on voudrait savoir, expliqua Freddy. Tout ce que nous possédons pour l’instant, ce sont des informations fragmentaires. Des témoignages, quelques images… Rien qui constitue de véritable preuve, c’est justement le problème.

-         Et donc, qu’est-ce que tu attends de nous exactement ?

-         C’est simple : que vous alliez sur place et que vous rameniez un échantillon. Une personne infectée, plus exactement.

-         C’est de la folie ! Et si on ramène la maladie ici ?

-         La maladie arrivera tôt ou tard. Et plutôt que de s’y préparer, nos dirigeants préfèrent ignorer le problème, essayer de le maintenir loin du regard de ses moutons. Nos concitoyens ont le droit de savoir. Avant qu’il ne soit trop tard. Le gouvernement sera obligé de réagir quand les gens auront vu un contaminé de leurs propres yeux. »

Arlène et Jonas restèrent silencieux quelques instants, ne sachant trop comment intégrer ce qu’ils venaient d’apprendre. Ce que Freddy racontait était-il la vérité ? La situation à l’étranger était-elle si inquiétante ? Dans quel état se trouvaient les pays voisins exactement ? Comment un virus pouvait-il forcer les gens à se révolter ?

Et plus important encore : quel bénéfice un receleur moisi comme Freddy Halu pouvait-il bien tirer d’une telle combine ? Il n’appartenait maintenant qu’à Jonas et Arlène de trouver les réponses à ces questions.

 

 

 

 

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