Chapitre 61 : mission et doute

Publié le par RoN

« Le Niels reste avant tout un bâtiment de guerre ! Et c’est moi qui en ai le commandement. C’est donc à moi de décider quelle mission est prioritaire.

-         Guerre, commandement, mission… Vous n’avez que ces mots à la bouche, barbares de militaires ! s’exclama Ali Minami en réponse. Pourquoi on en revient toujours à la même chose ? Batailler ne sert plus à rien ! La seule chose importante, c’est de protéger les civils. Quand vas-tu te décider à ouvrir les yeux, Abbie ?

-         J’ai justement l’impression d’être la seule à y voir clair, rétorqua l’amirale. Nous sommes les seuls à pouvoir éradiquer cette armée de goules. Et si nous ne le faisons pas, rien au monde ne sera en mesure d’arrêter un si grand nombre d’évolués. A quoi bon partir pour Genesia, si dans deux mois des millions de monstres nous tombent dessus ? Jack ignore ce qu’elles attendent, mais il est clair que les goules ne vont pas rester ici éternellement. Elles aussi sont peut-être en train de préparer un long voyage…

-         Raison de plus pour mettre les voiles au plus vite !

-         Pas sans avoir atomisé ces saloperies. N’essaie pas de me faire changer d’avis, Ali. On ne partira pas d’ici tant que les tubes de lancement ne seront pas remis en état. »

Soupirant de frustration et d’énervement, le maire Minami haussa les épaules en signe d’abandon puis quitta la pièce sans se retourner. Abernathy était décidemment complètement à côté de la plaque. Ses décisions n’étaient pas seulement illogiques, mais devenaient carrément dangereuses. Cela faisait déjà bien longtemps qu’Ali avait compris que sa collègue préférait donner la priorité aux opérations militaires plutôt qu’à la sécurité des civils ; si le Niels était resté ancré tout ce temps dans une zone aussi hostile, c’était bien par la seule volonté de l’amirale, persuadée qu’il était de son devoir de surveiller l’ennemi et de le garder sous contrôle. Et bien que l’avenir soit désormais plus clair, elle ne semblait pas décidée à renoncer à ses sombres projets. Même en constatant elle-même l’état de décrépitude des tubes de lancement des torpilles nucléaires, elle restait sur sa position : sa mission – et par extension leur mission à tous – était avant tout de réduire drastiquement la concentration en goule sur la côte de la Mater.

Il n’en avait pas fallu plus pour que les deux dirigeants du porte-avion mettent fin à leur entente cordiale. Après des semaines à coordonner les travaux et à organiser les préparatifs de l’exode, coopérant et se répartissant les tâches avec une efficacité grandissante, ces deux-là semblaient pourtant bien partis pour mettre de côtés leurs différends passés.

 

Les réparations étaient désormais quasiment achevées : les failles les plus préoccupantes avaient été comblées, les hélices gigantesques redressées, les gouvernails renforcés, les axes de transmission graissés et les systèmes électroniques vérifiés l’un après l’autre. S’astreignant plus facilement au rationnement maintenant qu’ils avaient un but, les nielsiens étaient parvenus à mettre de côté de quoi boire et se nourrir durant un bon mois. Tous espéraient cependant que le voyage ne durerait pas aussi longtemps.

D’après les derniers tests moteurs, le Niels pouvait tourner sans risque à plus de soixante-quinze pour cent de son régime maximal. Ce qui devait théoriquement permettre d’amener ses habitants au pied de la Chaîne Platte en moins de deux semaines. Une fois qu’ils seraient débarqués se poseraient certainement d’autres problèmes. Mais ils n’en étaient pas encore là. Il restait encore une tâche majeure à accomplir avant d’espérer partir en relative sécurité.

Si les survivants longeaient la côte en direction du centre du continent, ils allaient assurément finir par être repérés par des chimères volantes. La seule manière d’éviter un assaut constant de ces saloperies volantes était de camoufler le vaisseau. Et malgré d’intenses réflexions et débats, personne n’était parvenu à trouver une meilleure tactique que celle appliquée par le mythique Ghoul-Buster pour dissimuler son tout aussi légendaire Buster-Zeppelin.

Rares avaient été les nielsiens enchantés par l’idée de repeindre de visque l’intégralité de leur navire. Abernathy et ses hommes les premiers : comment supporter que leur dernier refuge, le symbole de leur survie autant que de leur gloire passée, puisse être volontairement recouvert de la merde qui remplissait les zombies ? Mais c’était ça où le voir réduit à un gruyère d’acier en quelques heures. Aussi s’étaient-ils finalement résolus à faire du Niels un gigantesque monstre noir et gluant, mais qui devrait en théorie être invisible aux yeux des créatures infectées. Si Jack doutait que les évolués se laissent abuser par un tel stratagème, il n’y avait aucune raison de croire que les chimères seraient assez éveillées d’esprit pour comprendre que cette créature aussi étrange que titanesque n’était pas l’une des leurs.

 

Depuis quelques jours, Kenji, Arvis et Lloyd menaient donc de périlleuses expéditions nocturnes visant à se procurer de la visque. En quantité, et à partir de la seule source possible. Si les peintres volontaires ne furent pas nombreux, ceux à se présenter d’eux-mêmes pour participer à ces raids le furent encore moins. Rien d’incompréhensible à cela : dans une zone aussi dangereuse, s’amuser à titiller les goules n’était assurément pas une très bonne idée.

Grâce à la fougue de Kenji et l’excellente stratégie mise au point par les Bronson, ces opérations se déroulèrent heureusement sans aucun problème. Aucun mort à déplorer du côté des humains, et seulement quelques blessés à chaque expédition. Les goules prenaient en revanche méchamment cher.

Positionnés à l’arrière d’une barge longue de trente mètres et large de cinq, les combattants se rapprochaient lentement et discrètement de la côte, de préférence en un endroit où les zombies ne pouvaient pas affluer en masse. En pilotant l’embarcation perpendiculairement au rivage, les monstres ne tentaient généralement d’attaquer que par l’avant. Le gros des créatures sautait sur le bout de la péniche et se précipitait vers les guerriers n’ayant plus qu’à travailler à la chaîne, tandis que les quelques goules nageuses qui parvenaient à les prendre à revers étaient exécutées dès qu’elles se hissaient à bord. Si les soldats restaient suffisamment calmes et vigilants, il était ainsi possible de remplir la barge de cadavres en deux ou trois minutes.

La récolte de la nuit avait d’ailleurs été particulièrement fructueuse, constata Abernathy en montant sur le pont pour se clarifier l’esprit après sa dispute avec Ali. La péniche en train de revenir silencieusement débordait littéralement de cadavres. Mais contrairement aux précédents, ce raid ne s’était pas fait sans difficulté. Aucune victime humaine n’était à déplorer, mais pas moins d’une demi-douzaine de combattants avaient été blessés ; dont deux ayant subi les morsures empoisonnées. Si leurs jours n’étaient pas en danger, c’était uniquement grâce à la miraculeuse buster-weed de Jack.

 

Après avoir aidé à transporter les blessés à l’infirmerie et s’être assuré que les plaies de ses amis n’étaient pas trop inquiétantes, le jeune homme s’en alla retrouver l’amirale en pleine introspection. Plutôt que d’attaquer directement, Jack la laissa mener ses propres réflexions, se contentant de rester silencieux et de lui passer un joint léger. Bien qu’aussi déterminée qu’obstinée, Abernathy  n’était pas stupide. Elle aussi était parfaitement consciente de l’imminence du danger.

Les rapports des clopeurs et des autres guetteurs étaient plus inquiétants de jour en jour : tous avaient la nette impression que les goules s’agitaient de plus en plus sur les côtes. Pas de véritables mouvements de foule pour l’instant, mais le grouillement insupportable de ces silhouettes sombres et anonymes avait nettement gagné en intensité. Pas une journée ne passait sans que l’on signale une ou plusieurs goules nageuses à proximité du Niels. Que le raid de la nuit ait coûté plus de sang que d’habitude prouvait bien que les évolués étaient de plus en plus à l’aise dans un environnement aquatique.

Inutile donc de démontrer à l’amirale l’urgence de leur situation. La tension était presque palpable. L’air avait comme un goût métallique, l’atmosphère semblait constamment lourde. Tous les nielsiens ressentaient de plus en plus clairement la menace omniprésente autour d’eux. Les goules finiraient par attaquer tôt ou tard, personne n’osait en douter. Tous espéraient seulement que leur navire pourrait prendre le large avant que cet hypothétique assaut ne soit donné ; et faisaient par conséquent tout leur possible pour être en mesure de partir au plus vite, trimant jour et nuit au mépris de la fatigue et du danger.

Près d’un tiers de la coque avait déjà été repeinte couleur visque. Il ne faudrait pas plus de quelques jours pour finir le travail. L’amirale aurait alors à prendre une décision de taille : pourrait-elle vraiment se permettre de retarder le départ aussi longtemps que les tubes de lancement ne seraient pas remis en état ? Elle risquait non seulement la mutinerie, mais aussi son équipage entier, tout simplement. Mettre en danger plus de deux cent personnes, même pour vaincre deux cent millions d’ennemis, était aussi irresponsable qu’inadmissible. Abernathy ne pouvait le nier. Elle comprenait parfaitement le point de vue d’Ali, l’approuvait même. Mais restait pourtant incapable de renoncer à la mission qu’elle s’était donnée. Il fallait absolument sauver les nielsiens ; mais il fallait aussi bousiller cette armée de prédateurs, sans quoi tous ces mois passés à croupir dans le porte-avion auraient été vains.

 

« Tu ne sais toujours pas ce qu’elles attendent exactement ? interrogea l’amirale en désignant sans les voir les goules assoupies sur la rive, un kilomètre plus loin. Elles savent nager, non ? Alors pourquoi elles ne se décident pas à nous attaquer ?

-         Qui sait vraiment à quoi pensent les goules ? lui répondit Jack. J’ai bien une théorie, mais tu ne vas pas aimer… Je crois qu’elles s’attendent elles-mêmes, en fait. Que celles qui savent nager patientent pendant que les débutantes apprennent. Pour pouvoir… partir ensemble…

-         Alors j’imagine qu’elles seront bientôt prêtes. J’espère vraiment que le camouflage de visque va marcher. Si ces saloperies nous suivent jusqu’à Genesia…

-         Je ne pense pas que ce soit leur objectif. Si toutes ces goules se sont regroupées ici, ce ne peut pas être uniquement à cause du Niels. Non, quand autant de zombies sont ensembles, ils doivent être capables de détecter des proies beaucoup plus distantes et nombreuses… Presque tous les zombies de la planète sont en train de marcher vers l’ouest. Même sur le Pater. Impossible que ce soit un hasard.

-         Merde… Alors tu crois… qu’ils vont vers la Filia ?

-         J’en ai peur. Les goules et mon groupe avons le même objectif. Reste à savoir qui arrivera les premiers…

-         Si on pouvait au moins empêcher les évolués de la Mater de traverser l’océan… soupira Abbie. Il faut que je trouve un moyen de leur balancer une putain d’ogive !

-         Les tubes sont vraiment morts ? On ne peut pas en réparer un seul ?

-         D’après tes copains genesiens, ça demandera au moins trois semaines de boulot supplémentaire ! Et encore, rien ne garantit qu’on soit en mesure de remettre un tube en état. La torpille pourrait très bien y rester bloquée et nous exploser dans les pattes…

-         Sympa… Et il n’y aurait pas moyen d’adapter les ogives à un des lance-missiles qui se trouvent sur le pont ? hasarda Jack.

-         Les sol-air ? La plupart sont hors d’usage. Et il faut de sacrées connaissances en armement pour transformer une torpille en missile. Systèmes de guidage, de propulsion, de mise à feu… Les armes aquatiques sont très différentes des armes aériennes… Quoique…

-         Je pense à un truc, là… intervint Jack, dans l’esprit duquel un déclic venait de se produire. Mais c’est clairement une très mauvaise idée…

-         Ne te fatigue pas, je crois que j’ai la même chose en tête, lui répondit Abbie avec un sourire tirant quand-même légèrement vers le rictus. Votre hélico… il se pilote facilement ? »

 

 

Publié dans Chapitres

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B
Oula! Mission suicide? J'ai hâte de lire la suite!
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R
<br /> <br /> Reponse jeudi ^^<br /> <br /> <br /> <br />