Chapitre 67 : lâcheté

Publié le par RoN

Jack ne put malheureusement pas s’accorder le temps de regarder l’hélicoptère s’éloigner. Dans un tel chaos, qu’il ait eu l’occasion de faire ses aux revoirs à Abernathy tenait déjà du miracle. Il ne servait de toute façon plus à rien de se faire de souci pour l’amirale ; son sort ne dépendait désormais que d’elle. Et Jack avait lui-même trop à faire pour se permettre un moment d’émotion : les goules se fichaient bien du fait que la séparation des deux leaders leur soit douloureuse. Elles étaient justement là pour ça : blesser, faire souffrir, détruire ; tuer.

Elles se montraient d’ailleurs de plus en plus sévères avec la cinquantaine de braves défendant la plate-forme. Avaient-elles compris que ceux-ci constituaient l’unique barrière entre elles et un garde-manger bien rempli ? Que se débarrasser pour de bon des guerriers était le seul moyen d’empêcher le Niels de partir ? Ou peut-être était-ce la buster-weed enfumant le pont qui les forçait à se montrer sans pitié ? Toujours est-il que nombre de combattants firent les frais de ce changement d’attitude.

Alors que les évolués préféraient d’habitude infliger à leurs proies quelques blessures légères avant de procéder à la contamination, les goules grimpant sur le pont avaient désormais tendance à porter directement des coups mortels, parfois sans même chercher à mordre leur victime. Elles ne cherchaient plus à gagner du temps ou à épuiser les humains, mais voulaient clairement les mettre hors d’état de nuire. Les griffes visaient les yeux ou le cœur, les os coupants frôlaient les gorges ; les blessés étaient sommairement achevés !

Jack vit un évolué arracher la nuque d’un soldat d’un seul coup de dent, lui infligeant une mort aussi instantanée que définitive ; un autre balança sa victime par-dessus bord sans même se donner la peine de la mordre. Ces saletés de zombies avaient visiblement compris que la fumée ambiante empêcherait de toute façon les contaminés de se transformer. Un humain était une proie ; un humain résistant à la Ghoulobacter était un ennemi.

Les guerriers durent par conséquent faire preuve d’une ténacité à toute épreuve et d’une solidarité constante pour tenir le coup. Jamais les goules ne s’étaient montrées aussi redoutablement dangereuses. Les humains n’avaient d’autre choix que de donner tout ce qu’ils avaient pour espérer survivre. Forcés de pourfendre leurs adversaires à un rythme effroyable, ils récoltaient inévitablement de plus en plus de blessures. Et épuisaient leurs forces aussi inexorablement qu’inutilement. Jamais ils n’en verraient le bout. Chaque goule tuée était remplacée dans la seconde par deux autres. Viendrait forcément un moment où elles finiraient par déborder les défenseurs. Elles étaient même certainement capables de submerger le Niels par leur nombre afin de le faire couler !

 

Le Delta de l’Ouest était désormais recouvert par un nuage de poussière, autant au sud qu’au nord ; un milliard de zombies en marche ; un milliard de goules nageuses. Même si Abernathy réussissait à en éliminer la moitié, elles seraient toujours largement assez nombreuses pour avaler le Niels sans que la plupart en aient conscience. Il fallait absolument mettre de la distance entre les côtes grouillantes et les survivants impuissants.

Les combattants étaient trop occupés pour s’en rendre compte, mais heureusement, le Niels était déjà en train de s’éloigner. Se frayant un passage vers l’arrière du vaisseau à grands coups de sabre, Jack réalisa bientôt que ce n’était pas ses jambes qui tremblaient, mais bien le porte-avion lui-même ! Les vibrations produites par les moteurs suffisaient presque à étouffer les cliquettements des griffes des goules sur l’acier. Et les grincements métalliques qui se faisaient entendre un peu partout prouvaient que la coque était soumise à de rudes contraintes. Enfin, enfin le Niels avançait !

Bien que soulagé par cette constatation, Jack fut contraint de forcer l’allure. Lui et son groupe n’avaient plus un instant à perdre. Ils devaient embarquer sur le champ. S’il n’était aucunement gênant pour le puissant navire d’avoir à tracter un vaisseau plus petit, rien ne garantissait que l’Indépendant pourrait subir un tel traitement. Tant que le Niels allait lentement, les risques étaient faibles ; mais dès que le porte-avion accélérerait, le voilier devrait prendre ses distances pour éviter de se faire broyer.

 

Si réunir son équipe lui coûta cher en sang et en sueur, Jack n’eut en tout cas aucun mal à localiser Kenji et les frères Bronson. Resté à l’arrière du pont, où les zombies arrivaient logiquement en masse, le tueur de goule tenait quasiment la position à lui seul, pourfendant les créatures avec l’efficacité d’une machine. Ses mouvements étaient toujours aussi vifs, sa dextérité sans faille ; lui aussi devait pourtant avoir les bras et les jambes de plus en plus lourds. Tout comme Lloyd et Arvis, travaillant à la lance pour protéger ses arrières et s’occuper des goules passant à travers la tornade d’acier.

A en juger par les cadavres innombrables et les flaques de visque qui maculaient le coin, les trois guerriers devaient trimer depuis un bon moment déjà. Mais le flux de goule ne diminuait pas malgré cet impressionnant carnage. Qu’on les jette par-dessus bord, qu’on les enfume, qu’on les éventre, elles continuaient à arriver, toujours plus nombreuses, toujours plus agressives. Les hélices gigantesques en train de tourner à la base de la coque ne les empêchaient visiblement pas de s’y accrocher. Tant que le porte-avion n’aurait pas acquis une vélocité suffisante pour les semer, il faudrait continuer à les repousser.

 

Mais les nielsiens allaient désormais devoir se passer des guerriers genesiens. Kenji et les Bronson étaient attendus sur l’Indépendant. Jonas ne pouvait y rester seul trop longtemps ; les goules n’allaient certainement pas le laisser hisser les voiles tranquillement. Jack somma donc ses équipiers de descendre sur le voilier tout en aidant les nielsiens à organiser la relève.

« Placez vous sur deux lignes de défense ! les encouragea-t-il. Essayez de ramener encore plus de buster-weed, ça vous facilitera les choses !

-         Et surveillez bien vos arrières ! leur rappela Kenji en s’éloignant à contrecoeur. Ces saletés arrivent surtout par la proue, mais elles seraient bien capables de vous prendre à revers quand vous vous y attendez le moins ! »

C’était même là une de leurs tactiques de base : focaliser l’attention des humains sur une attaque de front pendant que d’autres goules les contournaient. Tant qu’ils n’auraient pas été distancés pour de bon, les zombies les plus rapides auraient toujours l’occasion de grimper discrètement par les côtés.

Par bonheur, les nielsiens semblaient être capables de protéger la proue sans avoir à y concentrer toutes leurs forces. Des équipes plus réduites pouvaient ainsi rester à surveiller et nettoyer le reste du pont, protégeant notamment les sas d’entrée. Les combattants étaient cependant trop peu nombreux pour pouvoir contrôler l’intégralité de la plate-forme. Certaines zones devaient nécessairement être négligées, ce qui permettait aux goules arrivant en solitaire de se regrouper et d’organiser leurs assauts. Ces commandos zombies ayant clairement pour but de pénétrer dans le Niels, les soldats n’avaient d’autre choix que de centraliser leurs défenses sur les points d’entrée.

Jack fut d’ailleurs informé que Béate était restée à défendre le poste de commande avec une poignée de guerriers. Si son courage pouvait être salué, il signifiait aussi que son frère allait devoir se taper un sprint diablement éprouvant. Le centre logistique se trouvait du côté opposé à celui où l’Indépendant était amarré, et le pont était encombré par un bon paquet de goules, mortes ou encore actives. Rejoindre Béate n’allait certainement pas être une partie de plaisir. Mais Jack n’avait pas de temps à accorder à ce genre de considération.

 

Tsukaï dans une main, pistolet de gros calibre dans l’autre, il se fraya tant bien que mal un passage parmi les cadavres, avançant sans précipitation mais sans jamais s’arrêter, procédant machinalement à quelques décapitations et amputations. Lui aussi récoltait évidemment quantité de coupures et estafilades ; il avait heureusement assez d’expérience au combat pour ne pas se laisser perturber par ces plaies superficielles. A moins de s’appeler Kenji, personne ne se sortait indemne d’un affrontement contre des évolués. L’important n’était pas de tout parer ou esquiver ; il fallait parfois savoir encaisser, sacrifier sa chair pour protéger ses points vitaux. Cela ne posait aucun problème lors d’un simple duel, mais nécessitait une endurance incroyable dès que le combat se prolongeait.

Et malgré le sévère entraînement auquel il s’astreignait quotidiennement, Jack avait ses limites. Courir sur le pont glissant, slalomer entre les corps, freiner, esquiver, plonger ; et sabrer, sabrer encore et encore. Difficile de continuer longtemps à ce rythme quand on pissait le sang par une demi-douzaine d’entailles. Le jeune homme ne s’en rendait pas encore compte, mais ses mouvements ralentissaient dramatiquement. Il ne parvenait plus à reprendre son souffle, ses sens commençaient à lui renvoyer une image trouble de la réalité. Plusieurs fois il glissa sur de la visque et conserva son équilibre de justesse.

Ce qui n’était peut-être pas dû qu’à la fatigue. Le Niels s’était mis à bouger, c’était tout à fait évident maintenant. Sa vitesse était encore très faible, mais Jack percevait clairement la sensation de mouvement. Son sens de l’équilibre s’en trouvait légèrement perturbé, mais il ne pouvait que se réjouir du départ. Il y avait toujours beaucoup trop de goules à bord, et de nouvelles y grimpaient continuellement. Face à ces démons aussi insatiables qu’innombrables, la fuite constituait le seul salut possible. Lui-même forcé d’éviter les affrontements au maximum pour économiser son énergie, Jack en était plus douloureusement conscient que jamais.

 

Par quel miracle parvint-il à atteindre le poste de commandement ? Il n’avait plus assez de forces pour se poser la question. S’il avait été en pleine possession de ses moyens, il aurait tout de même trouvé curieux que si peu de goules se soient attaquées à lui. En effet, un certain nombre d’évolués s’étaient contentés de le laisser passer sans lui chercher des noises. Jack en avait même vu un s’écarter carrément devant lui en aboyant d’un air surpris ! La tenue ignifugée y était certainement pour quelque chose… mais à ce point ?

Le centre de commande étant une cible prioritaire des bataillons goule, le jeune homme eut tout de même à sabrer quelques créatures en arrivant. Il reçut rapidement et avec gratitude le soutien des soldats en poste, qui couvrirent son approche dès qu’ils l’aperçurent. Visiblement, ceux-là tenaient plutôt bien le coup. Jack constata avec fierté que si les goules n’avaient pas réussi à s’approcher du sas d’entrée et que la plupart des combattants étaient toujours sur leurs deux jambes, c’était en grande partie grâce à sa sœur.

Jouissant d’un étrange prestige parmi les militaires, Béate avait naturellement pris la tête d’une équipe de combattants, et s’était débrouillée pour organiser les lignes de défense avec une efficacité remarquable. Alors qu’ils n’étaient qu’une vingtaine, une disposition intelligente ne laissait aucune ouverture dans leurs rangs, et un astucieux roulement permettait à chacun de bénéficier régulièrement d’une ou deux minutes de repos. Ces braves allaient cependant devoir se passer de leur « capitaine », dont la présence était requise ailleurs.

« Indépendant… se grouiller… haleta Jack une fois à l’abri derrière une forêt de lames et de fusils. ‘Z’y maintenant.

-         Mec, tu tiens à peine debout, objecta Béate, qui après des années de fratrie n’avait heureusement pas besoin de phrases intelligibles pour comprendre son aîné. Tu souffles un peu, tu soignes tes blessures, et on y va ensemble.

-         Je… vais rester me reposer… un peu, ouais. Mais toi… tu fonces. T’as pas une seconde à perdre. Soit l’Indépendant est sur le point de partir, soit les mecs ont besoin de toi pour le défendre !

-         Mais et toi, merde ? Joues pas au héros, frangin ! Tu vas réussir à revenir tout seul ?

-         Je suis arrivé jusqu’ici sans toi, non ? Faut absolument que je passe au centre de commande ! expliqua-t-il en poussant déjà sa sœur en direction du voilier. J’en ai pour deux minutes, pas plus ! Je vous rejoins même si je dois sauter par-dessus bord ! »

Jack appuya ses paroles par un sourire confiant, mais la grimace que Béate afficha en réponse n’était guère encourageante. Elle consentit cependant à suivre les deux fidèles soldats volontaires pour l’escorter, tandis que son frère pénétrait sans perdre de temps dans la forteresse fermement gardée. Car il avait en effet constaté un problème suffisamment important – et évident - pour le détourner momentanément de sa mission.

 

Si les goules étaient si nombreuses sur le pont, si des dizaines d’entre elles y grimpaient à chaque minute, c’était parce que les humains ne faisaient rien pour les en empêcher. Ils s’étaient laissés prendre au dépourvu et débordés, et étaient dès lors restés sur la défensive, essayant vainement de bouter les envahisseurs innombrables. Alors qu’il aurait été si simple de diminuer leur flux en utilisant les armes du Niels ! Les combattants en train de sueur sang et eau sur le pont pouvaient être soulagés d’une part énorme de travail : il suffisait d’installer quelques personnes aux canons, mortiers et mitrailleuses lourdes placées un peu partout sur le porte-avion. Un travail pour lequel une bonne soixantaine de civils avaient été formés ces dernières semaines, et censé être supervisé par le maire en personne. Lequel avait intérêt à avoir une bonne excuse. Dix minutes au moins après le début de l’attaque, comment se faisait-il que l’artillerie du Niels soit toujours aussi désespérément silencieuse ?

« Minami ! rugit Jack en parcourant le centre de commande quasi-désert. Sors de ton trou ! Les vrais hommes sont dehors sur le pont !

-         Polygame et machiste, rien d’étonnant, commenta le maire en remontant de l’intérieur de la coque. Il me semble que des femmes sont aussi en train de se battre… »

Heureusement pour Ali, Jack n’avait pas la force de rebondir sur cette stupide remarque. Si le maire était incapable de comprendre que par « homme », le leader genesien entendait « être humain digne de ce nom », mieux valait se contenter d’exposer les faits clairement. La terreur qu’affichaient les nielsiens massés derrière lui n’était pas exagérée. Leur destin à tous était en train de se jouer. Même si Minami était trop couard pour agir, Jack pouvait peut-être convaincre les gens de prendre eux-mêmes les choses en main. Il en allait non seulement de leur responsabilité vis-à-vis de leurs camarades militaires, mais aussi et tout simplement de leur propre survie.

« Les artificiers, à vos postes ! ordonna-t-il donc de sa propre initiative. Ceux qui ont une arme, suivez-les et faites tout ce que vous pouvez pour protéger leurs arrières !

-         Que personne ne sorte d’ici ! lui opposa Ali Minami en écartant les bras pour dissuader ses concitoyens de monter. La situation à l’extérieur est beaucoup trop dangereuse pour pouvoir faire intervenir des civils !

-         Putain, j’ai pas le temps de discuter ! Vous allez vraiment obéir à ce type ? Ouais, c’est dangereux, ouais, il y a une bonne centaine de goules sur le pont ! Mais vous savez quoi ? Si vous vous bougez pas le cul, dans cinq minutes il y en aura le triple !

-         On sera déjà partis bien loin… assura le maire.

-         C’est ça, ouais ! Et vos potes militaires en train de saigner pour vous, là dehors, ils seront partis bien loin eux aussi ! Et puis merde ! Allez tous vous faire foutre, connards de lâches !! »

Dans leur état de frayeur, insulter les nielsiens n’était certainement pas le meilleur moyen de les convaincre de participer au combat. Mais Jack était lui-même à bout de nerf. Assez de patience, assez d’indulgence. Combien de soldats étaient déjà tombés pour protéger cette bande d’égoïste ? S’ils préféraient laisser crever leurs seuls défenseurs et attendre que les gentils zombies viennent partager le dîner, grand bien leur en fasse ! Jack n’avait plus rien à leur dire ; il s’empressa donc de retourner à l’extérieur, où sa rage pourrait d’ailleurs trouver une utilité.

 

La colère eut en effet l’avantage de lui apporter un surcroît d’énergie. Lequel serait assurément le bienvenu. A peine le jeune homme fut-il de retour sur le pont qu’il entendit siffler une fusée éclairante à babord. Ce qui signifiait que l’Indépendant était enfin prêt à partir et que Jonas allait commencer à l’éloigner du Niels ; il était grand temps, le porte-avion commençant à acquérir une vitesse conséquente.

Ce qui n’avait pas empêché les goules de continuer à l’aborder. Même grâce à la stratégie de Béate, les soldats postés devant le centre de commande commençaient à avoir du mal à tenir le rythme. Les zombies étaient si nombreux, si hargneux ! Eux aussi devaient sentir que le destin du Niels allait se jouer durant les prochaines minutes.

Jack, pour sa part, était désormais décidé à s’en laver les mains. Il n’avait plus une seconde à perdre, et ne pouvait plus se permettre de se soucier d’autre chose que de sa survie. Profitant du fait que les défenseurs attirent l’attention de la plupart des créatures du coin, il contourna la bataille pour se faufiler entre deux longues rangées de conteneurs chargés d’eau et de vivre. Un léger détour, mais qui pourrait au final lui permettre de gagner du temps. A condition de ne pas faire de mauvaise rencontre.

Et malheureusement pour lui, Jack tomba presque immédiatement sur un trio zombie ayant visiblement des intentions inverses : prendre un peu de temps pour contourner les défenseurs et les attaquer par derrière. Grognant de frustration, Jack dérapa sur place et fit volte-face, préférant chercher un nouvel itinéraire que combattre. Et cette fois, ce fut un juron de désespoir qu’il ne put retenir. Car quatre autres goules venaient également de se présenter derrière lui, coupant toute retraite et menaçant de souffler pour de bon la flamme de sa volonté.

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T
Pour moi la réaction des civils dépendra du fait que tu crois ou non en l'Homme...
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B
Un miracle venant des civils? Hmm j'ai hâte!! En tout cas bonne continuation et merci de faire partager ton roman librement ;)
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