Chapitre 21 : de la sueur ou du sang

Publié le par RoN

Gina et « ses » gosses allèrent se restaurer au réfectoire commun, où ils retrouvèrent Jack et ses camarades électriciens. L’équipe avait bien travaillé, coupant méthodiquement l’approvisionnement en électricité des quartiers inhabités, des magasins et de toute structure inutile. Il leur restait encore une bonne partie de la ville à parcourir, mais le courant pourrait vraisemblablement être rétabli dans la soirée. A la plus grande joie des enfants, qui pourraient bénéficier à la fois de la conférence promise par Gina et des jeux vidéos qu’ils avaient patiemment récoltés.

« Je n’aurai pas le temps de faire un exposé sur la Ghoulobacter aux gosses aujourd’hui, prévint cependant Jack. Je ne pourrai même pas assister à l’entraînement collectif…

-         Alors ce sera qui, le coach ? interrogea l’un des enfants.

-         Vous vous exercerez par vous-même, c’est tout. Vous n’aurez qu’à imiter Kenji : il parait qu’il va venir s’entraîner avec tout le monde, cet après-midi.

-         Kenji est déjà sorti de l’infirmerie ? intervint Gina. Il a pourtant pris cher lors de la bataille…

-         Bah, tu connais notre cher tueur de goule. Il en faut plus que ça pour l’abattre. Quoi qu’il en soit, si tu veux que les gosses aient un cours sur la goulification, tu vas devoir voir ça avec Marie. Je crois qu’elle avait justement prévu de faire quelques expériences. Elle passera sans doute l’après-midi à l’infirmerie, avec Sam et Lydia. »

Cela tombait une nouvelle fois à pic, les enfants ayant manifesté le désir d’aller rendre visite à leurs camarades blessés. Ils pourraient ainsi faire d’une pierre deux coups. Mais avant ça, ils allaient devoir s’atteler à des activités plus rébarbatives, quoique les enfants n’aient que rarement manifesté de réticence quant au labeur dans les champs.

Ce sujet avait d’ailleurs été longuement débattu durant les premières semaines de la vie à Genesia. Fallait-il ou non faire travailler les enfants ? Si certains adultes étaient encore attachés aux valeurs de leur ancienne société, et par conséquent opposés au travail des enfants, ils avaient bien dû admettre que former les jeunes à des activités comme l’agriculture était d’une importance vitale pour la communauté. Il fallait leur apprendre, oui. Mais pas les exploiter. Même dans un monde aussi chaotique, il fallait faire en sorte que la jeunesse reste une période d’insouciance. Les problèmes des adultes les tarauderaient bien assez tôt. Les enfants devaient profiter de leur relative innocence tant que celle-ci pouvait être épargnée.

La poire avait donc finalement été coupée en deux. Les gosses participeraient au travail, mais de façon très modérée. Pas plus d’une ou deux heures par jour, ce qui était amplement suffisant pour leur enseigner les arts de la terre. Et bien évidemment, on ne leur confiait jamais de tâche dangereuse ou trop pénible.

Tous s’y étaient parfaitement accommodés, et de manière générale, les gosses appréciaient même de participer aux activités des adultes. Seule une météo très hostile les faisait rechigner. Mais en ce début d’après-midi automnal, la température douce et le brillant soleil ne pouvaient qu’encourager les genesiens à sortir.

Les enfants allèrent donc travailler dans la plus complète bonne humeur, se réunissant auprès du grand-père Moncle pour qu’il les oriente vers les parcelles nécessitant un surplus de main d’œuvre. Les genesiens se l’étaient coulée douce les jours précédents, et il y avait largement assez de travail pour tout le monde. Mais les agriculteurs matinaux s’étaient déjà occupés de la plupart des cultures alimentaires ; seuls les champs de buster-weed nécessitaient encore quelques heures de labeur. Et pour cause : la marijuana génétiquement modifiée de Jack était sans doute la plante la plus abondante dans la ville.

 

Au nord, au sud et à l’est, le lotissement occupé par les genesiens était encadré de plusieurs hectares de plants verdoyants qui, quand ils étaient chatouillés par le vent, répandaient une odeur fruitée aussi riche que subtile. De la buster-weed à perte de vue, ou presque. Si le paradis existait réellement, il ne devait pas être bien différent.

Au fil des mois, Jack avait fait de son mieux pour continuer à améliorer ses souches de super-weed, par des moyens naturels tels que la sélection de semences ou différents croisements. Sans électricité, ces recherches avançaient tout aussi lentement que celles portant sur la Ghoulobacter. Jack était encore très loin de son objectif, à savoir la création d’une espèce de buster-weed proliférative et très résistante. Une plante divine, qui n’aurait besoin d‘aucun soin ou attention, qui se reproduirait rapidement et qui naturellement pourrait coloniser des milieux hostiles.

Cela restait un rêve pour le moment. Même si la buster-weed actuellement cultivée était plus performante que celle qu’ils consommaient un an auparavant, s’en occuper constituait tout de même une importante masse de travail.

La plupart des gosses furent donc envoyés dans les champs de marijuana, et ce malgré les objections de Gina. La drogue était omniprésente à Genesia ; les enfants y étaient déjà bien trop exposés. Si la buster-weed possédait des propriétés miraculeuses, elle n’en restait pas moins un psychotrope relativement addictif, qui pouvait avoir de graves conséquences sur le mental et la croissance des jeunes pré pubères.

Jugeant préférable de garder un œil sur ses petits protégés, Gina retroussa ses manches et accompagna les enfants durant leur labeur. Elle n’avait de toute manière aucune raison d’être dispensée de ce travail. Tous passèrent donc deux bonnes heures à arroser, effeuiller et soigner les précieux pieds de buster-weed, Gina ne manquant pas de rappeler à l’ordre les gosses qui manifestaient un intérêt un peu trop prononcé pour la fameuse drogue.

 

Une fois qu’ils se furent acquittés de leur tâche, les enfants se rendirent au gymnase avec entrain, impatients de s’exercer sous la tutelle de Kenji. Mais le tueur de goule n’avait aucunement l’intention de prendre la place de d’entraîneur. Il était peut-être le guerrier le plus redoutable de Genesia, cela ne faisait pas de lui un maître d’armes. Contrairement à Gina ou à Jack, il ne se sentait pas vraiment l’âme d’un pédagogue, et enseigner aux autres ne l’intéressait pas outre mesure. Etait-ce de l’égocentrisme ? Ou bien sa gentillesse naturelle l’empêchait-elle d’être un mentor suffisamment sévère ? Dans tous les cas, les genesiens motivés par l’entraînement collectif allaient devoir se passer de coach pour cette fois.

Kenji se consacra à ses exercices en ignorant superbement les regards admiratifs des enfants, se contentant de grommeler évasivement en réponse aux questions que certains osèrent lui poser. Il était de toute manière bien incapable de dire si tel échauffement était adapté ou non à tel exercice, ou s’il était préférable de faire de la musculation avant ou après les étirements. Pourfendre les goules n’avait pour lui aucun secret. Il se battait toujours instinctivement, et n’avait jamais montré le moindre intérêt pour l’étude des arts martiaux ou des disciplines militaires. Rien d’étonnant donc à ce qu’il ignore tout ce qui relevait de la théorie. Le seul conseil qu’il put prodiguer à ses camarades manquait clairement d’envergure et de clarté.

« Peu importe la manière, il faut vous exercer sans relâche, déclara-t-il. Technique, armes, puissance physique, tout cela n’a que peu d’importance quand vous vous trouvez en situation de survie pure.

-         Donc s’entraîner ça sert à rien ? s’étonna l’un des enfants.

-         Je n’ai pas dit ça. Mais l’entraînement n’est pas que physique. Vous devez avant tout exercer votre esprit, car c’est avec lui que vous tuez votre ennemi. Pas avec vos muscles, ni avec votre arme.

-         Facile à dire, quand on possède une lame capable de tout trancher… »

Tous les regards se tournèrent vers l’importun qui avait osé railler le légendaire tueur de goule. A la grande surprise des genesiens, il s’agissait de Saul Gook, venu observer l’entraînement en compagnie de quelques-uns de ses camarades. Jusque là, les hommes en noir étaient restés cloîtrés dans leur quartier, probablement sur le pied de guerre dans l’attente d’une éventuelle attaque de goules. La matinée s’étant écoulée dans un calme écrasant, les gookiens avaient fini par se détendre, et s’étaient enfin décidés à faire le tour de cette étrange communauté.

Le son des armes s’entrechoquant et les grognements d’effort n’avaient pas tardé à attirer bon nombre d’entre eux. S’ils s’étaient passés de commentaires jusque là, se contentant d’échanger des regards railleurs ou des critiques à voix basse, Saul n’avait pas pu se retenir d’intervenir en voyant que les « conseils » de Kenji perturbaient ses camarades plus qu’ils ne les aidaient.

« Ces gens ne sont pas tous comme toi, dit-il au tueur de goule. Tu as la chance de posséder un talent naturel pour le combat, tu n’as pas besoin de réfléchir ou de travailler excessivement pour savoir comment te battre. Mais pour le commun des mortels, un entraînement intensif est tout bonnement indispensable.

-         Et vues vos performances, vous ne seriez pas nombreux à survivre à une attaque d’évolués… se permit l’un des gookiens en gratifiant l’assemblée d’un sourire à la limite du mépris.

-         Garde tes remarques pour toi, Jonas, le rabroua l’ingénieur. Même si tu as raison, ces gens ont besoin qu’on les aide, pas qu’on se moque d’eux. Et face à Kenji, je ne pense pas que tu survivrais longtemps, toi non plus… »

Le dénommé Jonas couva Kenji d’un regard brillant d’une lueur de défi. Mais l’heure n’était pas aux rivalités guerrières. Qui mieux que Gook et ses hommes connaissaient les capacités des goules qui erraient sur le continent ? Ils étaient les mieux placés pour prodiguer des conseils aux genesiens.

Saul ne tenta pas de cacher que la plupart n’avaient absolument pas le niveau pour se frotter aux dangereux évolués, ce qui porta un certain coup au moral général. Mais l’ingénieur n’avait pas l’intention de les laisser se débrouiller avec cette constatation. Il prit naturellement la séance d’entraînement en main, donnant à chacun des exercices adaptés à leurs lacunes.

« Affronter des super-goules nécessite un sang-froid à toute épreuve, ainsi qu’une rapidité et une détermination exceptionnelle. Mais avant tout, il vous faut de la force. Couper la chair est facile, mais cela ne vous permettra pas de neutraliser un évolué. Il faut être capable de trancher leur os, de percer leur crâne épais et dense. Et avec une arme classique, ce n’est pas une mince affaire… »

Si Gook disait vrai, les genesiens allaient devoir consacrer les prochaines séances d’entraînement à développer leur force physique. Cela n’était peut-être pas aussi amusant que les exercices de Jack, mais s’avérerait d’une importance capitale un jour ou l’autre. Tous en revinrent donc aux bases, forgeant leurs muscles en répétant inlassablement les mêmes mouvements.

« Ce que j’ai dit est aussi valable pour toi, Kenji ! héla l’ingénieur en constatant que le tueur de goule n’en faisait qu’à sa tête. Tu as peut-être réussi à abattre un paquet de goules, hier, mais vu ton état, tu as encore pas mal de progrès à faire… Un peu de musculation ne te fera pas de mal.

-         Franchement, je ne vois pas l’intérêt. Mon corps fonctionne parfaitement. Et avec le Tenchûken, je peux couper n’importe quoi. Pas besoin d’avoir des biceps de catcheur…

-         Vraiment ? Alors montre-moi ça. Essaie de trancher ce poteau téléphonique, là. »

Kenji jeta un œil à la cible indiquée, avant de considérer Saul avec incrédulité. Le poteau en question était aussi épais qu’un tronc d’arbre, et était constitué d’un noyau d’acier recouvert de béton. Même avec le Tenchûken, espérer couper un objet aussi dur et large relevait du pur fantasme.

« Je veux bien essayer, mais ça risque d’abîmer le sabre… déclara-t-il en plissant les lèvres.

-         De toute façon, le Tenchûken a visiblement besoin d’un bon entretien. Ça va peut-être rayer la lame, mais elle ne se brisera pas, tu peux en être sûr. Vas-y, fais-toi plaisir. »

Peu convaincu, Kenji s’approcha du poteau et dégaina son katana mono-moléculaire. Il se concentra quelques instants, respirant profondément pour réunir toute sa détermination. Saul ne le quittait pas des yeux, un demi-sourire aux lèvres. Même lui eut du mal à voir le mouvement de Kenji, tant sa vélocité dépassait ce dont étaient capable le commun des mortels.

Mais aussi rapide fut-il, le tueur de goule n’était visiblement pas aussi puissant qu’il le pensait. La lame du Tenchûken pénétra dans le béton du poteau téléphonique aussi facilement que dans n’importe quel autre matériau ; pour s’arrêter au bout de dix centimètres dans un grincement déchirant, qui résonna jusque dans la mœlle des os de Kenji. La vibration se répercuta dans ses blessures à peine refermées, et il lâcha la poignée du katana avec un cri de douleur. Le précieux Tenchûken resta figé dans le poteau, la friction l’empêchant de glisser en avant comme en arrière.

Après un instant de stupeur, Kenji tenta d’extraire sa précieuse arme de ce carcan de béton et d’acier. Sans succès. Il avait beau peser de tout son poids sur le sabre, impossible de le pousser plus avant ou de le retirer. Dépité, il lança un regard furieux à un Saul Gook amusé, constatant du même coup qu’une bonne partie des genesiens observaient la scène.

« Bien joué, le tueur ! se moqua Jonas. Comment comptes-tu tuer des goules si tu laisses ton Excalibur plantée dans un rocher ?

-         Je ne suis pas à cent pour cent aujourd’hui, se justifia Kenji en exhibant les cicatrices toutes fraîches de ses bras. En attendant, débrouille-toi pour sortir le Tenchûken de là, Saul !

-         Pas la peine de t’exciter, jeune homme, l’apaisa Gook. Je voulais juste te prouver que tu surestimes tes capacités, et qu’une arme redoutable ne te rend pas invincible pour autant. »

La leçon était comprise. Restait maintenant à récupérer le Tenchûken sans le briser. Une pression dans la mauvaise direction, et la lame risquait de casser comme du verre. Cela n’avait pas vraiment l’air d’inquiéter Gook, qui n’y alla pas par quatre chemins.

Ses mains gantées fermement serrées autour de la poignée du katana, il mit en jeu toute sa puissance pour tenter de faire avancer la lame. Ses muscles bandés au maximum avaient presque doublé de volume sous sa combinaison noire, mais le sabre ne bougeait toujours pas d’un millimètre, comme incrusté dans le noyau d’acier du poteau téléphonique.

Des sourires narquois commençaient à apparaître sur les visages de l’assemblée. Du moins du côté des genesiens. Car pour leur part, les hommes de Gook conservaient un sérieux exemplaire, ne quittant pas des yeux leur leader en plein effort. Celui-ci lâcha un grognement qui aurait pu passer pour un abandon. Si ce n’est qu’un instant plus tard retentissait un claquement métallique, le Tenchûken s’extirpant finalement de son carcan sous les cris de joie des gookiens. Pourtant faite en deux fois, l’entaille était d’une netteté surnaturelle. Le poteau glissa lentement selon le plan de coupe avant de s’effondrer avec un fracas assourdissant, semant la panique parmi les genesiens fascinés par la scène.

La sueur au front mais visiblement pas peu fier de sa performance, Saul vérifia que la lame du Tenchûken n’avait pas été trop esquintée par ce traitement. L’acier était marqué de méchantes rayures, effaçant en partie les motifs aussi magnifiques que subtils qui l’ornementaient auparavant. Mais la ligne de nanotubes constituant le tranchant de la lame semblait intacte, tout comme la forme générale du katana.

Soulagé de constater que les dommages n’étaient qu’esthétiques, Kenji se détendit. Saul lui promit d’offrir au Tenchûken un polissage dans les règles, de façon à lui redonner son éclat d’antan. L’exploit de l’ingénieur avait presque fait oublier aux genesiens les événements de la veille. Nombreux furent ceux à venir le féliciter pour son exploit ou à lui demander des conseils.

« Bouger rapidement est primordial pour se défendre contre les évolués, déclara-t-il pour conclure la leçon. Mais vous ne pourrez jamais les vaincre si vous ne possédez pas une force suffisante pour trancher leurs os. Et croyez-moi, le squelette des super-goules est parfois plus dur encore que le béton ou l’acier. J’ai vu un évolué se faire percuter par un semi-remorque lancé à pleine vitesse. Le monstre s’est quand-même relevé. Une bonne partie de la peau et des muscles avait été arrachée, mais les os étaient intacts.

-         Bordel ! jura un genesien. Mais comment on peut les tuer, ces saloperies ?

-         C’est tout un art. Un art dont l’apprentissage commence par de la musculation. Des heures et des heures de musculation… »

Ne sachant trop s’ils devaient être motivés ou dépités par un tel discours, les genesiens s’en retournèrent à leurs fastidieux exercices sous le regard satisfait de Gook. Inutile de préciser que la séance fut éreintante. Et ce ne serait certainement pas la pire. Mais mieux valait verser un peu de sueur que beaucoup de sang.

Publié dans Chapitres

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T
<br /> être un marathonien c'est bien mais associé à la force d'un sprinter c'est mieux. Trouver le juste milieu entre la force physique et la vélocité est un enjeu primordial pour les survivants.<br /> <br /> <br />
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