Chapitre 24 : le camouflage anti-goule

Publié le par RoN

Faisant preuve d’une patience infinie, Samuel continua à faire travailler Lydia, tandis que Marie chronométrait avec précision le temps que la goule mettait pour perdre à nouveau conscience. Gina choisit d’épargner ce spectacle à ses élèves, ceux-ci en ayant vu bien assez pour la journée. Tous remercièrent sincèrement le médecin et la scientifique, certains jeunes allant même jusqu’à adresser un petit mot compatissant à la créature attachée. Puis ils prirent le chemin de leurs habitations respectives, le soleil commençant déjà à s’enfoncer derrière l’horizon.

Pierre et Roland étaient enfin autorisés à sortir de l’infirmerie, et semblaient bien décidés à profiter du fait que l’attention de Gina soit monopolisée par leurs camarades pour s’éclipser en toute discrétion. C’était sans compter sur la vigilance de l’institutrice, que Jack n’avait pas manqué d’avertir : il fallait tenir ces deux-là à l’œil, sans quoi ils ne manqueraient pas l’occasion d’aller s’enivrer de buster-weed dans leur cachette. Qu’ils aient été blessés lors de la bataille ne levait pas la punition décrétée par leur maître. Aussi la jeune femme les somma-t-elle de rester avec le groupe s’ils ne voulaient pas s’attirer davantage d’ennuis. Grommelant entre leurs dents, les deux comparses n’eurent d’autre choix que d’obéir. Leur mauvaise humeur ne dura cependant pas très longtemps.

Quel que soit leur âge, les gosses avaient visiblement été très impressionnés par ce qu’ils avaient vu à l’infirmerie. Gina s’attendait à ce qu’ils soient surexcités, laissant finalement exploser la tension de s’être trouvés face à une goule. Mais les enfants étaient étonnamment calmes, discutant de ce qu’ils avaient appris sans s’agiter outre mesure. Cette longue journée les avait peut-être suffisamment épuisés. C’était du moins ce que Gina espérait, elle-même ayant les jambes bien lourdes.

Mais hélas, il lui fut bientôt prouvé que les réserves d’énergie des jeunes ne devaient pas être beaucoup moins importantes que celles d’une goule défoncée à l’énergie solaire. Car quand ils pénétrèrent dans le quartier d’habitation, ils eurent la merveilleuse surprise de voir leur maison s’illuminer comme par magie. Les cris de joie laissèrent bientôt la place à une véritable frénésie juvénile, les gosses laissant leur tutrice sur place pour se précipiter à l’intérieur comme si leur vie en dépendait.

Un coup d’œil en direction du centre-ville apprit à Gina que les électriciens avaient travaillé d’une façon remarquablement efficace. L’électricité était de retour, aucun doute là-dessus. A quelques kilomètres en contrebas, les lumières de la centrale se reflétaient sur le lac de Talante, faisant ressortir l’immense construction de béton qui barrait le côté est de l’étendue d’eau. Dans le lotissement habité par les genesiens, la plupart des bâtisses présentaient également des fenêtres éclairées, laissant apparaître des visages souriants et réjouis. Mais le reste de la ville baignait dans la pénombre que les survivants avaient toujours connue. Plus de lampadaires pour révéler les rues mortes et encombrées ; plus de néons ou enseignes présentant des magasins depuis longtemps oubliés. Toute ces lumières, autrefois symboles du pouvoir de l’homme sur la nature, aujourd’hui balises ne servant qu’à ameuter les goules, étaient finalement sous contrôle. Il ne restait à couper le courant que de quelques dizaines de maisons inoccupées, ce qui ne prendrait pas plus d’une heure aux électriciens.

Les genesiens pourraient-ils enfin bénéficier du luxe que représentait l’électricité domestique sans attirer à eux les prédateurs qui hantaient le continent ? Cela restait à déterminer. Pour sa part, Gina voyait mal comment une intensité lumineuse aussi faible pourrait être détectée, même à seulement quelques kilomètres. Ce qui n’empêcherait pas les guetteurs de faire preuve de la plus grande vigilance le lendemain. Mais pour le moment, la seule chose à faire était de profiter.

 

La cacophonie de sons électroniques qui accueillit Gina lorsqu’elle pénétra dans son logis avait quelque chose de déplacé, presque choquant. Cela faisait une éternité que l’institutrice n’avait pas entendu de tels bruits, et cela sonna à ses oreilles comme le tonnerre d’une bataille acharnée. Ce qui, au vu du chantier qui régnait dans le sous-sol, n’était pas très éloigné de la réalité.

Elle n’ignorait pas que ses gosses avaient récupéré quantité de matériel suite au retour de l’électricité. A vrai dire, c’était même elle qui le leur avait conseillé. Mais elle ne s’attendait certainement pas à ce que les enfants transforment le sous-sol en une véritable salle de jeux électroniques. Les jeunes avaient installé pas moins de trois écrans gigantesques, chacun reliés à une des dernières consoles vidéoludiques que l’humanité ait produit. Sans compter l’ordinateur pour le moins imposant qui trônait dans un coin de la pièce, et la mosaïque de jeux éparpillés au sol.

Criant, riant et se disputant les meilleures places, les gosses utilisaient toutes ces machines simultanément, générant un véritable torrent de bips, grésillements et voix de synthèse qui faillirent rendre Gina dingue en quelques minutes. L’institutrice avait presque oublié à quel point la technologie était omniprésente dans la société pré-apocalyptique. Et surtout, à quel point elle pouvait être agressive pour qui n’y était pas habitué. La transition avec l’atmosphère calme et paisible à laquelle les genesiens étaient accoutumés s’avérait sacrément violente. Mais face aux visages radieux de ses protégés, Gina ne put se résoudre à leur demander de baisser le volume. Le monde dans lequel ils vivaient était suffisamment dur et triste. On ne pouvait pas les blâmer de se réfugier dans les réalités virtuelles.

« Gina ! Gina ! Tu viens jouer avec nous ? l’apostropha une Anne surexcitée. On a la GamePlatform 4, la Z-Crate 720, et aussi la Noo !

-         Je vois ça, vous avez pillé tout le centre commercial, hein ? répondit-elle en ébouriffant les cheveux de la jeune fille. Je jouerai avec vous tout à l’heure, d’accord ? Là, il faut que je prépare le repas de ce soir.

-         Monsieur Gook vient manger avec nous, alors ? Tu crois qu’il voudra jouer ?

-         Peut-être, mais on doit discuter d’un tas de choses avant. En attendant, ne jouez pas à des jeux trop violents. Et n’oubliez pas de partager. »

Les enfants l’entendirent à peine, leur attention focalisée sur les multiples écrans. Soupirant pour la forme, Gina s’empressa de s’extraire de ce chaos, son crâne lui donnant déjà l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur. Mais elle devait bien avouer que voir ses petits protégés oublier un peu leurs soucis quotidiens lui réchauffait le cœur. Elle les laissa donc à leurs loisirs innocents, savourant le calme relatif qui régnait dans le reste de la maison alors qu’elle concoctait quelques délicieux plats.

Elle ne serait probablement pas la seule ce soir là. Pour des raisons pratiques, la plupart des genesiens préféraient habituellement prendre leur repas dans le réfectoire commun. Ils n’avaient alors qu’à mettre les pieds sous la table, la dizaine de cuisinières se faisant un plaisir de préparer de la nourriture pour l’intégralité de la communauté. Mais avec le retour de l’électricité, il devenait beaucoup plus facile de cuisiner à domicile. Il y avait fort à parier que de nombreux genesiens préféreraient profiter de l’occasion pour dîner en comités réduits.

Ce que confirma Aya quand elle rentra à son tour, ramenant un surplus de nourriture confié par les cuisinières à la limite du chômage technique. Entre ses obligations quotidiennes, la philosophe avait passé la journée à discuter des événements de la veille avec les genesiens, usant de tout son talent d’oratrice pour faire retomber la tension provoquée par l’arrivée du groupe de Saul.

Par bonheur, aucun incident n’était à déplorer. A l’image de leur leader, les « ninjas de Gook » avaient fini par sortir de leur retraite et s’étaient naturellement présentés à leurs hôtes, lesquels avaient vite fini par comprendre que leurs craintes n’étaient pas fondées. Comme n’importe quels survivants ayant passé trop de temps dans les terres infectées, les nouveaux arrivants n’aspiraient qu’à la paix, au repos et à la tranquillité. Si les discussions avaient tendance à s’envenimer dès qu’il était question du général Hadida, les genesiens habitués à prendre sur eux pour désamorcer des conflits latents avaient su faire preuve d’assez de sagesse pour savoir quand laisser tomber. Ils s’étaient montrés patients et accueillants, expliquant à leurs invités de quelle manière fonctionnait la communauté. Beaucoup de gookiens avaient mis la main à la pâte sans même qu’on leur demande, participant aux activités agricoles avec une bonne volonté et un enthousiasme exemplaires. La plupart s’étaient en revanche rétractés quand les genesiens les avaient interrogés sur leur voyage. Visiblement, nombre d’entre eux étaient torturés par de pénibles souvenirs, et n’avaient aucune envie de les partager avec des inconnus. Il fallait espérer que Saul Gook se montrerait plus loquace.

 

« Ah, ce que j’aime voir mes femmes à la cuisine ! plaisanta Jack quand il rejoignit finalement sa famille. Mais l’une de vous deux aurait quand même pu s’occuper du ménage…

-         Monsieur le polygame n’a qu’à se trouver une troisième concubine, rétorqua Aya après un baiser complice.

-         Ou bien nettoyer la maison lui-même, ajouta Gina. Après tout, tu es déjà notre esclave sexuel, mon petit Jack. Autant faire de toi un esclave tout court.

-         C’est jouable. En tout cas, ce que vous préparez là sent super bon, les filles. Après un an à survivre dans les terres infectées, Saul va avoir l’impression d’être monté au paradis… »

Patientant le temps que l’ingénieur arrive, Jack s’autorisa un joint bien mérité, qu’il partagea avec ses femmes avant de descendre voir comment les enfants se débrouillaient avec leurs consoles de jeux. Visiblement, le chaos qui régnait au sous-sol ne le rebutait pas autant que Gina, et les gosses n’eurent aucune difficulté à le convaincre de participer à leurs jeux. Aya dut presque le traîner par la peau du cou quand il fut temps de retourner à l’étage.

« Saul est arrivé, signala-t-elle. Va donc lui payer un joint, le temps qu’on finisse de préparer à manger.

-         On doit venir aussi ? interrogea la petite Anne. J’ai un peu faim.

-         Il faut qu’on discute de certaines choses entre adultes, répondit la jeune femme. Pourquoi est-ce que vous ne resteriez pas ici ? On vous apportera votre repas.

-         On a le droit de manger en jouant ? s’étonna l’un des enfants.

-         Du moment que vous ne faites pas trop de bruit, vous pouvez faire ce que vous voulez. »

Avec un peu de chance, les gosses passeraient toute la soirée sur leurs jeux vidéos, laissant les adultes bénéficier d’une tranquillité bien trop rare dans cette maison.

 

S’extrayant avec difficulté du capharnaüm vidéoludique pour retourner à des activités plus sérieuses, Jack eut la surprise de constater que Saul Gook n’était pas venu seul. En effet, l’ingénieur était tombé sur Strychnine lors de l’entraînement collectif, et ils ne s’étaient pas quittés depuis. Les deux cinquantenaires avaient partagé une romance de quelques semaines lorsque la communauté vivait encore dans le petit village de Nemace. Une histoire qui s’était interrompue dans le sang, quand Gook et son équipe avaient été capturés par l’Armée du Renouveau Humain. Du temps avait passé depuis, mais les larmes de joie que Saul avait pu voir dans les yeux de l’ex-prisonnière quand elle l’avait serré dans ses bras semblaient parfaitement sincères. Ces deux-là passeraient probablement une nuit agitée. Mais avant cela, il leur fallait palabrer.

« Mais qui c’est cette jolie jeune fille ? interrogea Gina en constatant que le couple était également accompagné d’une gamine inconnue, âgée de sept ou huit ans au maximum.

-         Je vous présente Tricia, répondit Gook en faisant avancer la fillette, apparemment timide. Notre groupe l’a recueillie il y a quelques mois. Seule. Je n’ose même pas imaginer ce qu’elle a dû traverser…

-         Ma pauvre chérie… commenta Gina avec un regard chargé de tendresse. Ici, tu n’as plus rien à craindre.

-         Je me suis occupé d’elle jusque là, mais n’être entourée que d’adultes n’est pas bon pour une fille de son âge. J’ai pensé que voir d’autres gosses lui ferait du bien.

-         Tu as très bien fait. Tricia chérie, tu veux aller jouer en bas avec les autres ?

-         Oui madame, répondit-t-elle d’une toute petite voix.

-         Allons, une fille aussi mignonne que toi a le droit de m’appeler Gina. Viens, je vais te présenter. »

Affichant un sourire hésitant, Tricia prit l’institutrice par la main et la suivit au sous-sol. Comment une fillette d’apparence si fragile avait-elle fait pour survivre seule dans des territoires infestés de goules ? Jack ignorait s’il voulait vraiment le savoir. Une chose était sûre : il avait un tas de questions à poser à Saul. Et la première s’imposait comme la plus évidente.

« Mais qu’est-ce que c’est que ces combinaisons ? interrogea-t-il en pinçant l’étrange tissu noir qui recouvrait le corps de l’ingénieur.

-         Ceci est le prototype de camouflage anti-goule, déclara Gook avec professionnalisme. On peut d’ailleurs parler de la version 2…

-         Attends, tu veux dire que ces fringues rendent invisibles aux yeux des goules ?

-         Pas entièrement, hélas. Les sens des évolués sont sacrément affûtés. Même aveugles, ils restent capables de détecter une proie relativement proche. Mais ces combinaisons les empêchent de nous repérer avec précision. Les goules ont beaucoup plus de mal à capter nos mouvements et à suivre notre trace. Ça peut s’avérer très pratique…

-         J’imagine, commenta Jack en se remémorant l’exode de la base d’Adams, quand leur groupe avait été pourchassé par une meute sur des dizaines de kilomètres. Mais comment ça fonctionne ? Et où as-tu trouvé une telle technologie ?

-         Ça n’a pas été très difficile. Ces combinaisons sont tout simplement faites d’un tissu ignifugé, indétectable aux infrarouges. Il a suffi de s’en procurer une bonne quantité et de coudre.

-         Alors les goules voient réellement dans l’infrarouge…

-         En partie, oui. Je pense que le spectre lumineux capté par leurs yeux est légèrement décalé par rapport à celui d’un être humain normal.

-         Ça explique pourquoi elles sont incapables de se repérer sous l’eau.

-         Et pourquoi elles vous ont repérés malgré la Chaîne Platte qui entoure la ville. Trop de lumière, trop de chaleur. »

Jack hocha la tête, contemplant avec envie la combinaison miraculeuse.

« C’est tout bonnement génial, commenta-t-il. On aurait dû y penser bien avant, ça nous aurait bien facilité la vie…

-         Je n’ai fait que développer une idée que votre médecin avait eu il y a un bon bout de temps…

-         Le « déguisement de goule » ! comprit Jack. C’est comme quand on s’était recouverts de visque.

-         Absolument. La visque agissait entre autre comme isolant, empêchant les zombies de détecter votre chaleur. Ces combinaisons sont juste plus pratiques.

-         Et plus propres, surtout.

-         Ça, je n’en jurerais pas. Certains membres de mon groupe n’ont pas dû retirer la leur depuis des semaines… »

Jack et Strychnine s’esclaffèrent quelques instants, mais Saul se contenta d’un sourire discret. Bien qu’il en soit l’auteur, ce genre de plaisanterie était beaucoup moins comique pour lui que pour les genesiens. Car si ses camarades de voyage ne s’étaient ni lavés ni changés depuis des lustres, ce n’était pas par choix, mais bien par nécessité. Sur un continent infesté de prédateurs capables de repérer la moindre source de chaleur à des kilomètres, des vêtements permettant de se camoufler à leurs yeux constituaient un trésor inestimable.

Publié dans Chapitres

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T
<br /> sympa les combis :)<br /> (ps : tu n'as toujours pas changer cette histoire de main à la pâte...)<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Petite correction: Mettre la main a la pâte (et pas a la patte)<br /> Sinon j'ai beaucoup aimé les noms des consoles ;-)<br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> ARGH ! Je fais cette faute systématiquement ! Je corrige, merci.<br /> <br /> <br /> <br />