Chapitre 53 : de la bière !

Publié le par RoN

L’amirale Banks pesta encore quelques instants devant les portes closes, allant jusqu’à s’équiper d’un pied-de-biche pour tenter de les forcer ; sans succès aucun. Abernathy semblait de toute façon savoir d’avance que cela ne donnerait rien. C’était surtout là une tentative pour utiliser de manière constructive la rage qui bouillonnait dans son cœur.

Jack éprouva une forte sympathie à la voir se laisser ainsi aller à ses émotions. Elle qui avait gardé un sang-froid exemplaire durant toute l’opération avait littéralement explosé dès l’instant où on lui avait refusé l’entrée. En tant que leader d’un groupe, Jack comprenait parfaitement ses sentiments : mettre en danger la vie de ses hommes était acceptable tant que cela servait un but ; mais les voir agoniser pour des raisons aussi obscures que stupides lui était parfaitement intolérable.

Dans une telle situation, la colère ne servait cependant à rien. Ce n’étaient pas les jurons de Banks, quoique forts imagés et hauts en couleurs, qui allaient soigner les blessures des soldats. Jack attendit qu’Abernathy le comprenne d’elle-même, constatant avec un certain amusement que personne n’osait prendre la parole de peur de s’attirer les foudres de l’amirale. Il en fit d’ailleurs les frais personnellement, la militaire se ruant vers lui à l’instant où elle aperçut son petit sourire.

« Tu trouves ça drôle ? l’interrogea-t-elle d’un ton glacial. Toi tu es tiré d’affaire, tout est cool, on peut se marrer ! C’est ça ? Les autres peuvent crever, c’est pas ton problème, hein ?

-         Bon, la première chose à faire, c’est déjà de se calmer, la coupa Jack, qui n’appréciait pas du tout cette agressivité très déplacée. Un chef doit montrer l’exemple à ses hommes, non ?

-         Et après ? On est partis pour crever ici, de toute façon…

-         Eh bien, quel optimisme… Personne d’autre ne mourra aujourd’hui, j’en suis convaincu. Les goules ne doivent pas grimper sur ce bateau trop souvent, je me trompe ? Et franchement, je ne pense pas qu’il y ait de chimère volante dans ce coin. Trop de zombies humains. On devrait donc être en sécurité, même si on doit vraiment rester dehors jusqu’à ce soir.

-         Ce n’était pas vraiment ça qui m’inquiétait, lui rétorqua Banks, légèrement plus calme néanmoins.

-         Les blessés, je sais. On ne peut rien faire pour eux pour l’instant…

-         Non ! Je refuse de rester à les regarder se vider…

-         …mais dès que l’hélico sera posé, on s’en occupe, continua Jack sans tenir compte de l’interruption. On a tout le matériel nécessaire, et tout le monde dans mon groupe sait comment suturer une plaie et traiter un contaminé. »

Cette fois, l’amirale ne put émettre de critique concernant l’éclatant sourire affiché par le jeune homme. Sa colère avait de toute façon disparu, éclipsée par l’assurance de ce guerrier borgne, qui malgré son âge peu avancé faisait preuve d’une sagesse dont peu étaient capables en cette époque chaotique. Il était allé droit au but, avait dit exactement ce qu’il fallait pour la pousser à se reprendre. Il n’avait même pas jugé utile de se défendre face à ses provocations, pourtant extrêmement injustes.

Abernathy ne tarda pas d’ailleurs à s’en excuser. Comment avait-elle pu lui reprocher de ne pas se soucier de la vie des autres, alors qu’il était justement venu au secours de parfaits inconnus ? C’était parfaitement inadmissible, et indigne de son statut d’amirale. Malgré son grade élevé, Banks avait encore des progrès à faire en tant que chef.

 

« J’ai été un peu propulsée à ce poste, avoua-t-elle en observant Jack recoudre avec dextérité le bras d’un des soldats. Je n’étais que lieutenant au début de l’épidémie. C’est d’ailleurs pour ça que mon autorité est si contestée…

-         Si c’est juste une question de galons, je peux peut-être faire quelque chose… proposa Jack. En fait, j’ai le grade de colonel. Ça suffirait à convaincre votre maire de nous laisser entrer ? 

-         Là, il va falloir me donner quelques explications… déclara Abbie, affichant cette fois un air clairement dubitatif, presque méfiant. C’est vrai que tu ressembles à un officier. Tu as l’expérience du terrain, et tu es visiblement habitué à diriger des hommes. Mais si tu es vraiment colonel, comment se fait-il que tu ignores que ce grade n’existe pas dans la Marine ?

-         Parce que je ne suis pas un militaire de formation. Je ne connais rien à toutes ces histoires de titres. Mais je n’ai pas menti : même si c’est uniquement symbolique, j’ai bien l’autorité d’un officier.

-         Sérieux ? intervint Béate, occupée à distribuer des joints de buster-weed à tout le monde. Normalement on devrait t’appeler « colonel Redfield » ?

-         Déconne pas, soeurette, répondit Jack avec un sourire gêné. Nous ne sommes pas des soldats. Le général Hadida a juste pensé que ça pourrait être utile de me donner un grade d’officier, par exemple pour justifier le fait que je connaisse les codes d’accès au réseau d’observation militaire de la Mater. Et histoire d’avoir du crédit, une certaine légitimité quand on arrivera sur la Filia.

-         Ça se tient, reconnut Banks en hochant la tête. Mais pour ta gouverne, le grade de colonel serait équivalent dans la marine à celui de capitaine. En-dessous du commandant, et donc de l’amiral. Et pour revenir à ta proposition, je ne pense pas qu’Ali nous ouvrirait même si on lui disait qu’on a avec nous le président lui-même.

-         Sûr ? Parce qu’on pourrait aller vous le chercher… plaisanta Béate.

-         Non, ce n’est pas une question d’autorité. C’est politique, répondit-elle en crachant ce mot comme une glaire immonde. Les raisons d’Ali ne sont que des prétextes pour tenter de m’évincer du pouvoir. Nos lois concernant les sorties ne sont pas aussi strictes, et la quarantaine n’a pas besoin de durer aussi longtemps.

-         De toute façon, il pourrait très bien nous laisser entrer dans le bâtiment de surface, et nous garder là tant qu’on est pas certains que personne va se transformer… ajouta le blessé que Jack en train de soigner.

-         Personne ne se transformera, assura une nouvelle fois Jack en souriant.

-         D’ailleurs, j’aimerais bien que tu m’expliques ce que c’est que ce médicament. Ça ressemble quand-même drôlement à de la marijuana… »

Ce qui n’avait bien entendu rien d’étonnant. Il fallait espérer que l’amirale n’avait rien contre les anciens trafiquants de drogue. Producteurs, plutôt, car Jack n’avait jamais trempé dans aucune magouille moralement criminelle. Cela était de toute façon le cadet des soucis de la militaire. Qui ne se serait pas réjoui de se voir ainsi offert un aussi miraculeux remède ? Sans la buster-weed, aucun des soldats ne serait revenu jusqu’au Niels.

 

Jack raconta donc à Abernathy comment il avait créé cette drogue génétiquement modifiée, et dans quelles circonstances il avait découvert ses étonnantes propriétés. Lui-même avait été sauvé par la buster-weed un nombre incalculable de fois. Cette substance était plus précieuse que toutes les armes, plus importante même que la survie de son créateur. Si l’humanité voulait espérer un avenir sur cette planète déjà envahie par les goules, il fallait diffuser la buster-weed, la cultiver partout, la transmettre aux autres survivants. Le futur en dépendait.

C’est donc avec une grande solennité que l’amirale Banks accepta le sachet d’une cinquantaine de graines que lui confia Jack. Comme s’il s’agissait de diamants miniatures, elle passa plusieurs secondes à observer les semences, doutant peut-être qu’un si grand espoir puisse s’y dissimuler. Mais promit que les plantes seraient chéries du mieux possible. Ce qui n’était pas forcément très engageant, la plupart des cultures présentes sur le pont étant beaucoup trop maigres pour constituer une source alimentaire régulière. Ces gens n’avaient visiblement pas la main aussi verte que les genesiens.

La buster-weed déjà prête à l’emploi connaissait en tout cas un grand succès auprès des soldats. Ceux qui étaient à peu près valides profitaient joyeusement de l’euphorie apportée par la drogue, riant et échangeant anecdotes de combat avec les frères Bronson. Plus silencieux que jamais depuis sa rencontre avec la goule Lyons, Kenji préférait pour l’instant rester à l’écart, absorbé dans ses pensées et prenant ses marques dans cet environnement nouveau. Béate, pour sa part, était maintenant aux petits soins avec Jonas. Malgré ses blessures récentes, le pilote avait décidemment montré un courage exemplaire, refusant de se laisser examiner tant qu’il restait des soldats à soigner. Il s’était pourtant démené comme un diable pour couvrir ses camarades durant le sauvetage, et en avait payé le prix.

Difficile d’imaginer son calvaire. Sous les secousses de la mitrailleuse, ses cicatrices s’étaient presque toutes rouvertes, ses bandages devenant vite rouges de sang. Jonas avait supporté stoïquement la douleur et continué à arroser les goules, mais l’effort avait été tel qu’il s’était évanoui dès l’instant où ses amis s’étaient trouvés hors de danger. Pour reprendre conscience à peine une minute plus tard et aider Béate à négocier l’atterrissage. L’ex-passeur n’était peut-être pas non plus un militaire, mais cela ne l’empêchait pas de faire passer son devoir avant toute chose. C’était à ce demander ce qui le motivait à ce point.

Quelle que soit sa volonté, il allait tout de même devoir prendre un repos sérieux durant les prochains jours. Jack ne se faisait cependant pas de souci pour lui. Nul doute que Jonas passerait la journée, ce qui n’était pas forcément le cas de tous les soldats.

 

Deux étaient dans un état particulièrement inquiétant. Sans transfusion sanguine et assistance respiratoire, ils ne tiendraient certainement plus très longtemps. L’équipe de Jack ne possédait pas ce genre d’équipement ; mais l’infirmerie du Niels était toujours fonctionnelle.

« Ce qui nous ramène à notre problème… grommela Abernathy en gratifiant les portes d’acier d’un petit coup de pied. Comment rentrer chez soi quand les invités ont décidé de vous foutre dehors ? Tu n’aurais pas une idée, colonel ?

-         Il n’existe pas d’obstacle que l’esprit humain ne puisse franchir, philosopha le jeune homme en tirant sur un joint bien mérité. C’est de ma femme Aya. Une manipulatrice incroyable.

-         Et que ferait Aya dans notre situation ?

-         Elle montrerait sans doute ses seins, et on nous ouvrirait dans la seconde… Non, sérieusement, il doit y avoir un moyen d’entrer. Tu n’as pas des hommes restés à l’intérieur ?

-         Seulement Karl, le gardien de la porte. Un timide, très obéissant.

-         Pas assez, visiblement.

-         C’est surtout qu’il a tendance à faire ce que lui dit la personne en face de lui. Si Ali lui a mis la pression, le pauvre a dû baisser la tête et obtempérer sans discuter.

-         Ce genre de type me semble assez influençable. Tu dois pouvoir le convaincre de nous ouvrir. Si l’autorité ne fonctionne pas, il faut utiliser un autre levier.

-         Comme par exemple l’envie… déduisit Banks.

-         Exactement. Tout le monde est affamé, sur ce navire, non ? La perspective d’un bon sandwich devrait peser lourd dans la balance. Et la buster-weed ! Tes hommes ont l’air de bien apprécier. Le petit Karl ne pourra jamais résister à la bouffe ET à la beuh !

-         J’ai mieux. Les bidasses aiment bien la marie-jeanne, c’est sûr. Mais il y a quelque chose qu’ils adorent encore plus. »

Ayant manifestement trouvé l’idée du siècle, Abbie se dirigea vers les deux caisses ramenées à grand-peine et les ouvrit au pied-de-biche. Pour y prélever une bonne douzaine de boîtes de conserve, qu’elle distribua à la ronde en félicitant ses hommes pour leur courage. Si cette récompense leur fit visiblement chaud au cœur, ce n’était rien à côté du cadeau que l’amirale leur réservait ensuite.

En ces temps troublés, où la vie pouvait vous être arrachée à chaque instant, il était primordial de savoir se faire plaisir. Survivre ne suffisait pas à long terme : il fallait vivre. Abernathy Banks l’avait parfaitement compris, et avait profité de leur petite excursion pour ramener quelques denrées non-vitales, mais censés redonner un peu le moral à une population très déprimée : sucreries, cigarettes, livres… et de l’alcool, beaucoup d’alcool. Dont le breuvage favori des guerriers depuis l’aube de l’humanité : la bière.

C’est une véritable ovation qui s’éleva sur le pont du Niels quand Abbie ouvrit un pack d’une trentaine de cervoises, qu’elle répartit entre ses hommes pour accompagner leur repas. Les soldats assoiffés n’avaient pas dû goûter à ce genre de boisson depuis des mois : tous ou presque avalèrent leur bière d’un trait sans accorder un regard à la date de péremption, avant de lâcher des rots tonitruants qui déclenchèrent des rires plus gras encore.

De telles réjouissances faisaient plaisir à voir. Jack et ses camarades ne purent que se laisser aller à la bonne humeur générale, trinquant avec les soldats, oubliant un peu les événements sanglants qui les avaient menés jusqu’ici. Si les occupants du bateau pouvaient les observer en train de festoyer ainsi, ils devaient assurément en baver d’envie. A ce que Jack avait compris, l’ambiance dans le porte-avion était plutôt morose. Entre le rationnement, le manque d’hygiène, les maladies, les tensions internes et l’absence de perspective d’avenir, il n’y avait apparemment pas beaucoup de raisons de faire la fête dans cette communauté.

 

Grâce à leurs connaissances et à leurs moyens, Jack et son équipe pourraient peut-être aider ces gens à résoudre certains de leurs problèmes. Mais pour cela, encore fallait-il pouvoir entrer dans la forteresse maritime. Le jeune homme commençait à douter de l’efficacité du plan d’Abernathy. La plupart des soldats avaient déjà enquillé deux bières, et la porte restait toujours désespérément close. L’amirale elle-même ne semblait plus trop y croire. Finissant sa canette, elle rappuya sur le bouton de l’interphone et rota de la façon la plus grossière possible.

« J’espère que t’as entendu ça, Karl, ricana-t-elle. Parce que c’est tout ce que tu auras. La bière, c’est pour les soldats !

-         Allez, soyez cool, Amirale… lui répondit miraculeusement le portier. Gardez m’en au moins une, s’il vous plait. J’ai pas demandé à rester ici… Je suis toujours un soldat.

-         Mais tu as ignoré mes ordres. Tu as trahi tes camarades, tes frères. Et tu voudrais trinquer avec nous ? C’est une plaisanterie.

-         Quand vous êtes à l’extérieur, je dois suivre les ordres de M. Minami… Pour le bien de la communauté, se justifia Karl, visiblement sans trop y croire. Je… je ne fais que mon devoir.

-         Si tu en es aussi convaincu, j’imagine que tu es prêt à en assumer les conséquences. Parce que c’est la cour martiale qui t’attend, tu réalises ? Et tes potes – pardon, tes anciens potes – risquent de te trouver des chefs d’accusation sérieux : insubordination, mutinerie, trahison, bref largement de quoi te balancer aux goules.

-         Mais je n’ai pas le choix…

-         Bien-sûr que si. Viens t’asseoir avec nous et descendre une bonne binouze. Et après, on ira tous ensemble botter le derche de Minami…

-         Je… je ne sais pas… Il faut…

-         Il faut que tu te poses la bonne question, le coupa Abernathy, enfonçant le clou une bonne fois pour toutes. Qui préfères-tu avoir comme ennemis ? Moi et tes copains soldats, ou cet enfoiré de maire ? Choisis, mon vieux. Mais choisis bien. »

Cela allait-il réellement fonctionner ? Jack n’osait y croire. Le dénommé Karl n’allait quand-même pas se laisser avoir aussi facilement. Le pauvre devait être en train de s’arracher les cheveux pour décider vers qui irait sa loyauté. La logique voulait qu’il choisisse les militaires : Abbie lui avait clairement démontré que la manière la plus simple de se dédouaner du problème était de laisser rentrer les soldats. La question était plutôt de savoir si le maire Minami était toujours présent ; auquel cas l’amirale pouvait argumenter tant qu’elle voulait, elle se heurterait toujours à un strict refus.

Les secondes passaient, les blessés luttaient pour continuer à respirer, leurs camarades croisaient les doigts. Et enfin, enfin se fit entendre un claquement métallique signifiant l’ouverture du verrou.

Lâchant une exclamation de soulagement, l’amirale Banks se précipita vers la porte, la fit coulisser et bloqua le mécanisme de fermeture. Honteux et redoutant une sévère sanction, le soldat Karl lui présenta ses plus plates excuses. Abernathy n’avait heureusement pas l’intention de le punir. Le sort de cet indécis était bien le cadet de ses soucis. L’important maintenant était de s’occuper des blessés. Et de se préparer à la suite des événements. Le maire Minami n’allait certainement pas être très heureux d’apprendre que l’amirale était de retour dans son vaisseau.

« Va me chercher des munitions, ordonna-t-elle à Karl après lui avoir promis qu’il échapperait à l’échafaud.

-         Tu t’attends à du grabuge ? interrogea Jack.

-         Je n’en sais strictement rien. Mais vu l’accueil, ça sent la mutinerie. Mieux vaut se tenir prêt à tout. D’ailleurs, je me sentirais bien mieux avec vous pour surveiller mes arrières, les gars.

-         Aucun souci. Kenji et moi on te couvre. Allons donc présenter nos respects à ce cher maire… »

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T
<br /> J'espère qu'un jour ce bon vieux Bernard W. lira ton roman et sera fier d'y voir une référence aux siens :)<br /> <br /> <br />
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